Dire et ire
Il y a longtemps que je suis fâchée avec la colère. Peut-être que dit de cette façon, ça ne sent pas la résolution immédiate? Peut-être. Je me souviens, il y a une dizaine d'années, dire à mon frère qu'idéalement, je ne voulais plus avoir la moindre velléité de colère. J'ai dû lui expliquer "velléité", après quoi il m'a fait une bise mi-attendrie mi-amusée en m'appelant "chérie" pour bien me faire comprendre que je rêvais les yeux ouverts. Il faut dire qu'il est passé maître de provoquer la colère des gens : la mienne, celle de mon père, plus récemment celle de ma sœur, pour semer la zizanie, évidemment. Ça a marché, un temps. Pour mon autre sœur et ma mère, il n'a pas encore trouvé comment faire. Il les maltraite comme il peut sans se découvrir (il faut garder les apparences sauves), par le mépris, le plus souvent, en soufflant le chaud et le froid. Mais elles ne comprennent pas, elles ne s'énervent pas. C'est dommage pour lui.
Moi, j'ai vécu des années avec une colère ardente, ceux d'entre-vous qui ont connus l'ancien blog se souviennent sans doute de mes envolées qui crachaient le feu et le fiel dans tous les sens. Certains, même, m'admiraient pour cela, je ne l'ai jamais bien compris. Et puis ça se calme. Pourtant c'est toujours là. Il y a donc de la colère qui n'est pas liée au passé ? Eh oui, il y a l'habitude, l'amertume, l'auto-victimisation...
Pardonnez-moi si j'en ai déjà parlé, mais il ça rentre dans le déroulement de ce billet. Un jour, il y a trois-quatre ans, j'ai repensé à ces mots lus quelque part ou entendu, qui disaient plus ou moins que toute peur est une peur de la mort. Or, de mon coté, j'en étais venue à penser que toute colère est basée sur la peur. A travers ce prisme, j'ai compris la citation : toute peur est une peur de la mort symbolique ! Ah oui, ça ouvre des horizons. De fait, il m'est apparu que l'on se mettait en colère parce que l'on se sentait ignoré, pas écouté, pas respecté, etc.
Ces deux-trois dernières semaines, j'allais bien, vraiment bien (il en reste quelque chose, mais ce n'est plus aussi facile). Comme je l'ai dit dans un billet précédent, je me suis rabibochée avec un ami, lequel, suite à une conversation sur un réseau social m'a invitée à lire les Quatre accords toltèques. Moi qui ai vendu tous mes livres de développement personnel, j'allais me plonger dans ce truc new-age ? Mais ça m'a intriguée, car il m'a dit en avoir tiré grand bien. J'ai donc lu l'œuvre. En lisant, j'ai beaucoup pensé au Livre du bonheur de Marcelle Auclair qui dit plus ou moins la même chose (il faudrait comparer de plus près). Je vous laisse les découvrir par vous-mêmes si cela vous intéresse, quant à moi c'est le premier qui m'intéresse ici. "Avoir une parole impeccable". Impeccable : sans péché. Ne pas dire de mal, ne pas dire de mensonges. J'ai surtout lu : ne pas dire de mal ni de soi, ni des autres. Autant sur "dire du mal de soi", ça m'a semblé clair, autant sur "dire du mal des autres", je rencontre plus de difficultés. Mais enfin, j'ai essayé. Du jour au lendemain, j'ai cessé de dire du mal de moi et je me suis efforcée de ne pas en dire des autres. Et, comme j'allais bien, c'était facile, apaisant et j'ai vu les réseaux sociaux différemment...
En vérité, j'ai vu pétarader la colère dans absolument tous les coins, pour les prétextes les plus ténus : une déclaration de politique, une émission de télévision, la météo et j'en passe des plus dérisoires. M'étant extraite du mouvement de vitupération continue, j'en voyais soudain tous les remous avec le plus grand étonnement. Cet étonnement fut rapidement suivi de lassitude, tant le flot est dense... Tout est con, chiant, grotesque, insultant, débile, odieux, etc. Nous sommes manifestement nombreux qui devrions changer de literie (ou de lunettes ?) !
Quant à moi, je pratiquais comme je pouvais mes petits toltèques, ils sont adoptés mais demeurent difficiles à appliquer. Peu importe, je le veux : ça marchera. Sans doute pas demain, car c'est long de changer, mais ça marchera. Deux fois je me suis très significativement "désemparée" de ma colère : j'ai tergiversé et m'en suis trouvée merveilleusement bien, elle ne m'a pas rattrapée.
Mais voilà, l'embellie de moral s'affaiblissait, j'avais besoin de soutien et j'ai acheté (pas cher) un bouquin sur la communication non violente dont S. m'avait parlé il y a deux ans et dont le souvenir me titillait. C'est Dénouer les conflits par la Communication NonViolente, un livre d'entretiens de Marshall Rosenberg et Gabriele Seils. Rosenberg, qui a inventé cette méthode, raconte son évolution : la violence qui l'a habité, comment il a voulu agir plus qu'il ne le faisait en étant psy pour Américains moyens et surtout, il cite beaucoup les auteurs qui ont inspiré sa pensée. Cette modestie, cette capacité à replacer son cheminement intellectuel dans le contexte me rend le personnage très sympathique. Et puis je me suis souvenue d'un reportage où on le voyait négocier avec des preneurs d'otages, il sait de quoi il parle... Dans ce livre, il raconte ses échecs, ses erreurs et comment telle circonstance, telle rencontre, telle lecture l'a fait évoluer. C'est très intéressant, ça me donne beaucoup à penser et beaucoup à m'émouvoir de belles choses.
L'un des grands principes de base est qu'il faut apprendre, pour communiquer bien, à exprimer ses besoins. Des besoins de sécurité, d'affection, de respect, etc. quels qu'ils soient. Il pense aussi que nous avons tous les mêmes besoins, ce qui nous rend aptes à comprendre les besoins des autres... Mais je veux en venir à ces fameux besoins : pour les exprimer clairement, il faut les reconnaître clairement et c'est là, pour moi, que surgit la colère : entre le besoin et son expression. On n'est pas très loin de la peur, car au lieu d'exprimer mon besoin, ne sachant comment l'exprimer, j'ai peur qu'il soit ignoré et je m'énerve. Ne m'exprimant pas clairement mon besoin de repos, de silence, de douceur, je m'enfonce rageusement dans les bouchons du périph' et je hurle des injures au premier prétexte.
Rosenberg explique qu'exprimer son besoin comme tel permet aussi d'accepter qu'il n'y soit pas répondu favorablement, d'en faire le deuil. Au lieu de s'exciter sur "ce connard de temps de merde" on se dira "Oh, il pleut, alors que je voudrais tellement qu'il fasse soleil !" Et là, on peut penser "Tant pis." et passer à autre chose. Cette illustration de mon invention colle de près à l'actualité, comme vous l'avez remarqué... Rosenberg dit bien d'autres choses très intéressantes, mais enfin, restons-en là pour le moment.
Ma colère, que dit-elle de mes besoins ? Il n'est pas si facile de répondre à cette question, car il faut être honnête avec soi-même. Par exemple : "Il m'énerve car il est malpoli !" Non... Il énerve car on a un code de bonne conduite et l'on voudrait que tout le monde ait le même, que tout le monde le respecte. Aller à la rencontre de soi, de ses sentiments de vulnérabilité, de peur, de manque, ce n'est pas facile, certes. Mais c'est une décision à prendre : veut-on se laisser dominer par les "passions" les plus primaires ou veut-on vivre une vie apaisée et une relation pacifique à l'autre ?
Pour moi, le choix est fait.