Une question bitumineuse
Chers lecteurs, il m'est arrivé récemment de rencontrer mon passé par le biais d'une question oubliée depuis longtemps que la
réponse, surgie brusquement d'un présent nonchalant, me remit en mémoire.
Réjouissez-vous, je vais vous faire partager ce plaisir en vous livrant immédiatement la réponse, figurez-vous qu'il s'agissait tout simplement d'une antonomase par métonymie préfixée et apocopée
! Avouez qu'il y avait peu de chance que je trouve intuitivement la réponse... Sans même parler du fait que je ne suis pas sûre qu'à l'époque où cette question m'habitait, je connaissais
l'existence de cette invention américaine, l'Internet, qui, des années plus tard, allait me mettre sur la voie de la vérité. C'est dire si c'est vieux...
Tout d'abord, avant de vous livrer mon mot à l'étymologie mystérieuse, laissez-moi vous remettre en tête ces quelques notion de linguistique qui permettent de comprendre tout le sel de mon
exclamation précédente.
Une antonomase est une figure de style un peu protéiforme dans son usage. L'antonomase académique consiste à utiliser un nom propre pour le caractère qu'il recouvre : "C'est un Harpagon" pour
dire que c'est un avare. Ici, je m'intéresse à l'antonomase substantivée (qui est devenue un nom commun), celle qui a perdu sa majuscule et que le vocabulaire emploie le plus souvent sans même se
souvenir du personnage qui l'a inspirée : poubelle, pantalon, sandwich, etc.
Métonymie, partie pour le tout, vous avez déjà compris pourquoi.
Préfixée car, à la "racine", l'on a adjoint un bout de mot ne fonctionnant pas seul et ayant besoin d'un autre auquel s'accoler et dont infléchir le sens : préfixe, antéposé, péricarde, etc. A noter que la locution
"suffixe postposé" est pourtant composée de deux mots à préfixes... C'était là un exemple
d'humour linguistique.
L'apocope vous est également familière, c'est l'élision le plus souvent d'une ou plusieurs syllabes de la fin du mot. C'est elle qui nous a fait quitter le cinématographe pour le cinéma (voire le
ciné), la motocyclette pour la moto, le métropolitain pour le métro. Elle s'oppose à l'aphérèse qui est une perte en début de mot, beaucoup plus rare, "ricain" pour Américain, par exemple.
Pour faire une antonomase par métonymie préfixée et apocopée, prenez un ingénieur, son invention, ajoutez-y une autre invention et laissez passer quelques décennies. Sachez tout de même que
l'acception glissera un peu vers la spécialisation, ce qui est une pente classique en linguistique, il suffit de penser à celle du mot branler, par exemple.
Prenez un ingénieur, disais-je, John Loudon Mac Adam (1756-1836) un fin observateur de routes... Souvenez-vous de votre cours sur les fabuleuses routes romaines : une couche de très grosses
pierres, une couche de pierres plus fines, etc., une couche de gravier, une couche de sable et des dalles jointoyantes. Depuis l'Antiquité, le procédé n'avait pas évolué, faute de moyens, il
avait même un peu reflué. Le grand problème des routes du Royaume-Uni était que l'eau finissait toujours par s'infiltrer et par déstructurer l'agglomérat pierreux. Mac Adam conçu donc un
revêtement de pierres soigneusement sélectionnées étanche, lequel permettait désormais une évacuation de l'eau sur les cotés de la route
sans plus d'infiltration et ce, à moindre coût (détail
ici). Cela lui valut d'être préposé à l'entretient des routes d'Ecosse et d'ailleurs.
Dès 1826, il est question, en France, de routes pavées à la Mac Adam, de la dureté des routes macadamisées... En 1882, les britanniques revêtent désormais leurs routes de tarmacadam, un amalgame
à base de goudron, sur tar-, goudron et macadam. Arrivée du mot dans le vocabulaire français, 1907, sa fortune est grande, mais sous la forme abusive (par aphérèse) de macadam. Par ailleurs, une
autre fortune le maintint sans aphérèse mais avec une apocope sous la forme, désormais sans secret pour nous de tarmac, bien sûr ! Le fameux tarmac!
Ici, deux écoles s'affrontent qui opposent deux acception pour ce mot, qui désigne soit toute la surface bitumineuse de l'aéroport, soit les surfaces bitumineuses à l'exclusion des pistes
d'atterrissage.
Je propose que nous n'essayons pas de trancher sur sa véritable circonscription sémantique et nous contentions (à moins de le vivre nous-mêmes) de regarder les stars, les présidents, les
ex-otages et les GI's poser le pied sur le tarmac...
A la réflexion, je crois me souvenir que ce mot est apparu sous mes yeux dans les SAS, je revois Malko Linge mettre ses Ray-Ban pour protèger ses yeux couleur champagne sur divers tarmacs
internationaux... Tarmac ? Qu'est-ce que c'est que ce mot ? D'où vient-il ?
La réponse est riche de longs voyages, de mûres réflexions et de fainéantise articulatoire... Ravissant, non ?