Pute et bourgeoise, tout un roman
Chers lecteurs, faisons une petite plongée dans mon intimité, du moins, dans celle de mes pensées.
Il y a quelques temps, je ne sais plus pourquoi, m'est revenu que j'imitais pas mal Patricia Kaas, il a quelques années. Un peu d'entrainement et elle revenait
réchauffer ma voix, quoique m'obligeant à monter. Sa voix, sa sensualité affichée et cette profondeur puisée au maximum pour compenser de n'avoir pas la voix si grave qu'une Marlene m'ont touchée
en plein coeur quand j'étais adolescente et qu'elle articulait de cette façon si personnelle "yeuna qu'élèvent des gosses au fond d'un hachèlèhèm". Ce qui m'a frappée dans ce souvenir, c'est
l'aspect très populaire de ce personnage de chanteuse. Depuis, je la réécoute un peu, avec plaisir.
Quand, il y a quelques semaines, il a été question partout d'"apéro" Faicebouc, d'apéro ceci-cela, d'apéro, ro ro ro ro, j'ai senti en moi une vague de dégoût venue des tréfonds pour ce mot immonde "à pet-rot". Même le présentateur du journal s'y mettait, plus personne n'est, semble-t-il, capable de dire "apéritif", c'est sans doute trop précieux et trop long. Le fait que le R soit précédé d'un voyelle ouverte (ce qui n'est pas le cas de métro, par exemple) permet de grasseyer la syllabe finale avec l'élévation de la langue la plus ténue. C'est l'alliance de ce relâchement de prononciation et de moeurs qui y est associé -vêtements amples et mous, quand il y en a, avachissement des corps voire des esprits- qui me hérisse. La bourgeoise en moi est proprement horrifiée par cet exhibitionnisme ventripotent et content de soi. Pourtant, j'aime aussi les apéritifs, la conversation légère et les rires un peu faciles. Mais le gigantisme, mais la revendication stupide, mais les débordements, mais la saleté laissée, etc. Vraiment trop populaire pour moi.
Depuis que j'ai maigri, je reporte avec plaisir mes vêtements, m'apercevant combien ils sont, disons-le comme je le pense : vulgaires. J'ai une quantité invraisemblable de jeans et de débardeurs voyants voire moulants. Voyants car j'aime follement les couleurs, elles me fascinent, m'ensorcèlent, me carressent le coeur dans le sens de la joie, douce ou folle, spirituelle ou sensuelle. Et moulants pour mettre ma taille en valeur et, ainsi, tout ce qui l'entoure. J'ai adoré, dans les années 80, les pantalons serrés à la taille qui me faisaient un torse à la Katheryn Hepburn, je jalousais férocement Elisabeth d'Autriche pour ses 52 centimètres de tour de taille. Et je me retrouve à reprendre contact avec ces goûts que, sans renier tout à fait, je ne puis à nouveau totalement faire miens.
Il y a peu, pour raison financière, j'ai vendu mon Pléiade de Nathalie Sarraute, mon précieux... J'ai pleuré comme une madeleine en l'emballant et écrire ces mots
me serre encore la gorge. Vous vous souvenez peut-être que j'ai fait ma maîtrise de lettre sur ses romans, elle est, pour moi, un exemple de finesse, d'intelligence, de talent, etc. Ce livre,
dont j'ai jeté le plastique avec mépris -je déteste les jaquette- mais conservé le carton pour cause de transport fréquents était dans un état parfait, proche du neuf et c'est ainsi que je l'ai
décrit sur le site de vente. Il est parti très vite, mais à la réception le vendeur m'a mis une note calamiteuse, car il était déçu. Eberluée, j'ai découvert que le plastique s'appelait un
Rodhoïd (marque déposée et non substantif, comme le laissait croire mon client) et que la valeur du livre dépendait aussi de lui ! Ce trait petit bourgeois prétentieux et ignorant m'a écoeurée,
je l'avoue, à quel point faut-il être stupide pour garder les emballages ? Ou considérer le livre comme un objet à vendre ? Ou simplement un objet à exhiber ? Je l'ignore, ma répugnance face à
cette attitude vient de loin (la famille, si vous voulez tout savoir) et ne me porte pas à plus de tolérance. Ce n'est pourtant pas mon milieu, mais c'est bien la grande bourgeoisie, ou l'artiste
? qui parle ici en moi, mais surtout l'amoureuse des bibliothèques. La culture est vivante, vibrante, elle prend la poussière et moisit à l'occasion, mais elle sent, elle transpire, elle exhale
et soupire, la mettre en bocal ne la rend pas plus précieuse, ça la tue. Triomphe du médiocre petit bourgeois : horreur.
Souvent, lorsque je me retrouve à discuter avec des hommes, spécialement si j'ai quelque chose à demander (à obtenir...), je me surprends à me montrer câline, comédienne, enjôleuse voire presque coquine dans mes manières avec eux. Je me rends compte, par exemple que je reproduis des expressions vues dans Benny Hill, quand j'étais jeune adolescente. Mon esprit est impregné des lectures de cette époque : S.A.S., San Antonio, Gotlib (Rhâ Lovely, etc.) et tous les albums de BD cochonnes consultées discrètement dans les allées de la grande surface, pendant que ma mère faisait les courses sans se douter de ce qui pouvait bien me retenir au rayon librairie. Or, je suis un personnage plutôt distant, un peu froid, ce genre de comportements n'est pas forcément attendu chez quelqu'un comme moi et, a posteriori, il me surprend un peu.
Ainsi, souvent, je peux observer en moi, selon mes réactions, ce duel permanent entre la bourgeoise et la vulgaire, entre l'élitisme et le populaire. C'est très gauche moderne, finalement : un pied dans le peuple, un autre dans l'élite. Des goûts et des dégoûts de chaque coté répartis, les petits arrangements intellectuels avec sa pente "naturelle", l'équilibre instable entre les idéaux et le principe de réalité.
Vous vous dites peut-être que j'ergote sur des évidences, mais vous n'êtes pas à ma place. Vous vivez dans votre milieu ou celui dans lequel vous vous êtes reconnus, approuvés par vos amis, votre famille parfois, vous ressemblez à votre fonds culturel, sans grande surprise. Jusqu'au jour où...
Pour moi ce jour est tous les jours, personne ne m'approuve, ne me conforte, ne me brosse dans le sens du poil (ou rarement). Je sais bien que je suis formatée aussi, mais ce format n'est de plus en plus étranger, je sais ce que je dois à mon plaisir et à mes idiosyncrasies et je sais que ce n'est qu'une banale histoire, que ce n'est pas un art (même de vivre), ni une philosophie, ni une morale. Je n'ai donc rien, ni dans un sens, ni dans l'autre, à vous apprendre...
Quoique ?
Et vous, lecteurs, vous sentez-vous duels, par moment ? Morcelés, tiraillés, partagé entre hue et dia ?