Pour que tu m'aimes en chlore
Samedi, retour à la piscine.
C'était l'après-midi, je m'attendais à plus de monde, mais c'est acceptable. Cette fois, les lignes d'eau flottent sur toute la longueur du bassin, il devenait envisageable de progresser un peu. Depuis mon premier bain, j'ai farfouilé sur le net et ai glané quelques notions pour progresser doucement en dos crawlé.
J'arrivai un peu tendue, mais d'une façon tolérable, au contrôle de tickets se trouvait un petit jeune homme fluet, un physique que l'on rencontre beaucoup, dans la région. Il déchira mon billet et me le rendit, comme un ticket de cinéma. Peut-être était-ce parce que, le distributeur de bonnets était en panne, les gens devaient pouvoir sortir et revenir ? J'avais d'autres choses en tête pour y penser plus avant.
Cette fois, j'avais enfilé l'étroit maillot une pièce chez moi et j'avais pris une trousse de toilette avec le gel lavant spécial piscine, une crème hydratante pour ne pas ressortir avec la sensation d'être aussi émaciée qu'une momie et une petite brosse à cheveux. Dans le grand sac se trouvaient le pince-nez de métal gainé, un sac en plastique pour les chaussures et deux serviettes, une de sport, rouge et un machin en matière moderne, ultra-fine, ultra-absorbante, jaune et en rôdage pour le moment. Je me déshabillai rapidement et fourrai toutes mes affaires dans le casier, sauf le pince-nez et la serviette rouge. C'est idiot, je n'ai pas osé prendre la trousse de toilette, si bien qu'elle n'a pas servi...
Je suis allée me doucher, puiser des forces dans cette eau chaude et réconfortante. J'avais remarqué la fois précédente que les gens peuvent apporter leurs affaires par une sorte de comptoir qui sépare l'espace des douches de celui qui entoure le bassin. On y dépose ses affaires et passe le pédiluve où une fine pluie est censée faire je ne sais quoi tant elle est étique. De l'autre coté, on récupère ses affaires bien sèches. Le procédé est sans doute d'une banalité abyssale, mais je le découvre, ayant haï et fui les piscines durant de longues années. Je joue les blasées en déposant ma serviette, le front ceint de mon hydrodynamique bonnet noir.
Cette fois, on ne joue plus, je repère un couloir d'eau pas trop plein, à coté du bord et coté fond haut. L'entrée dans l'eau à 25° est décidément très aisée, je fais la queue derrière de jeunes hommes costauds à lunettes et me prépare à m'élancer. C'est parti, je débute avec un exercice d'entrainement, une sorte de papillon dos. Allongé sur le dos, on lance les deux bras tendus au-dessus de sa tête et les ramène ensemble, le tout en battant des pieds. Je vais alterner avec du vrai dos crawlé, car il ne faut pas tarder, ils nagent vite devant et derrière moi, cela me met la pression et je m'embrouille dans les mouvements. J'ai aussi du mal, respirant avec peine, à tenir la longueur. Pourtant, la musculation a laissé des traces et je suis agréablement surprise par la force de mes bras, ils se fatiguent assez peu, répondent à mes sollicitations, même l'épaule gauche ne me cause aucun problème.
Pourtant, j'avance mal, je m'étouffe et m'essouffle, non seulement parce que j'ai peur de l'eau, mais aussi parce que je n'ai jamais été bonne en endurance, je ne sais pas respirer et les paquets d'eau me paniquent. Finalement, le pince-nez est à ma bretelle, je n'ai pas réussi à le faire tenir sur mon nez... Pourtant, il y a deux ans, quand je l'ai acheté, il m'avait bien servi, mais là, trop de stress, de maladresse, rien à faire. J'ai fait deux courtes pauses, ai changé de couloir et me suis à moitié étouffée à force de prendre la tasse, nager de travers et rentrer dans les gens ou nager de travers et me râper la peau sur le bord... Encore au bord du désespoir, je suis allée marcher un peu et tenter de me détendre la colonne dans le petit bain à 30°.
C'est frustrant, cette panique, cette respiration qui ne suit pas, je voudrais pouvoir me défouler comme à la muscu, sentir ma force, sentir la résistance de l'eau. Au lieu de quoi je m'emmêle, refusant lâchement d'admettre que si je nage au bord, c'est que je n'ai pas le courage de mettre la tête sous l'eau pour passer les bouées de plastique... En regardant le fond à 4,10 mètres, je me suis fugitivement souvenue de la dernière fois que j'y suis allée, c'était sans doute au collège, pour le troisième triton, mon plus haut niveau en natation. En vérité, j'avais triché, je ne savais déjà plus plonger, je me suis laissée couler, les pieds en avant et ai ainsi pu les passer sous les aisselles du mannequin qui gisait au fond. La monitrice ne regardait pas, sinon j'aurais échoué à cet examen. Ca fait quoi ? Vingt ans que je n'ai pas plongé, je ne sais plus le faire, la peur m'a raidifié le corps, la nuque, bloqué les poumons, le diaphragme et vidée de toutes forces.
Aujourd'hui, j'ai 35 ans, je prends des leçons de nage en regardant les petites gamines et les grands bonshommes, attentive, maladroite et coléreuse, qu'est-ce qui ne va pas, chez moi, putain ? Il y a longtemps, bien longtemps, j'ai eu peur de mourir noyée, deux fois de suite. Une fois à la piscine, ce qui a bien ébranlé mon peu de confiance et une autre fois à la mer, dans les puissantes rouleaux de Donnant, à Belle-Isle. Deux grosses tasses qui laissent grelottante et pantelante, sans oser s'en faire consoler, car on t'avait prévenue, c'est de ta faute, ta faute, tu as fait une bêtise. Et depuis tout ce temps, personne ne comprend pourquoi tu as peur de l'eau, toi, ex-bébé turbo. Respire, ne te cambre pas, pousse sur les pieds te dis ta mère depuis toutes ces années, qu'est-ce qui lui prend à cette petite qui nageait si bien, tu devrais bien nager la brasse puisque ta maman le fait si bien, si digne et royale, la tête bien levée pour épargner ses lunettes de l'eau. Mais tu ne sais que barboter à moitié comme un petit chien et glapir de frayeur, j'ai pas pied, j'ai pas pied ! tu n'as pas pied, et alors, mais nage !
Malgré les quelques encouragements moins imbéciles de mes sœurs, je n'ai plus jamais fait confiance, plus jamais respiré aisément dans l'eau, plus jamais pu relâcher mon corps autrement que seule, dans l'Océan Indien ou la Méditerranée et encore. Aujourd'hui, dans ce grand bain, je me souviens d'apprendre, flottant sur le dos, une main soutenant ma nuque, celle de ma mère et déjà j'avais peur. Que donnerais-je aujourd'hui pour une main ferme sous la nuque, me détendre, me reposer, m'abandonner ?
Eh bien, pas les 85,50 € pour le forfait de leçon de natation, je ne les ai pas, point final. Ce n'est pas grave, l'habitude va venir, j'espère que mes yeux et mes sinus, fort endoloris, s'habitueront au chlore, comme ils supportent relativement le sel. Il faut plonger, quand les profondeurs seront aisées et familières, la surface ne sera plus un problème. Je laisse passer un jour ou deux, que les courbatures s'estompent, que l'angoisse s'apaise. Je suis portée par l'envie, le désir quasi viscéral de retrouver le jeu, le plaisir, de délier mon corps dans cet univers d'apesanteur, de libérer mon ventre, le diaphragme, les poumons et d'enfin dominer la peur.
Mais en attendant, il faut rincer le maillot.
C'était l'après-midi, je m'attendais à plus de monde, mais c'est acceptable. Cette fois, les lignes d'eau flottent sur toute la longueur du bassin, il devenait envisageable de progresser un peu. Depuis mon premier bain, j'ai farfouilé sur le net et ai glané quelques notions pour progresser doucement en dos crawlé.
J'arrivai un peu tendue, mais d'une façon tolérable, au contrôle de tickets se trouvait un petit jeune homme fluet, un physique que l'on rencontre beaucoup, dans la région. Il déchira mon billet et me le rendit, comme un ticket de cinéma. Peut-être était-ce parce que, le distributeur de bonnets était en panne, les gens devaient pouvoir sortir et revenir ? J'avais d'autres choses en tête pour y penser plus avant.
Cette fois, j'avais enfilé l'étroit maillot une pièce chez moi et j'avais pris une trousse de toilette avec le gel lavant spécial piscine, une crème hydratante pour ne pas ressortir avec la sensation d'être aussi émaciée qu'une momie et une petite brosse à cheveux. Dans le grand sac se trouvaient le pince-nez de métal gainé, un sac en plastique pour les chaussures et deux serviettes, une de sport, rouge et un machin en matière moderne, ultra-fine, ultra-absorbante, jaune et en rôdage pour le moment. Je me déshabillai rapidement et fourrai toutes mes affaires dans le casier, sauf le pince-nez et la serviette rouge. C'est idiot, je n'ai pas osé prendre la trousse de toilette, si bien qu'elle n'a pas servi...
Je suis allée me doucher, puiser des forces dans cette eau chaude et réconfortante. J'avais remarqué la fois précédente que les gens peuvent apporter leurs affaires par une sorte de comptoir qui sépare l'espace des douches de celui qui entoure le bassin. On y dépose ses affaires et passe le pédiluve où une fine pluie est censée faire je ne sais quoi tant elle est étique. De l'autre coté, on récupère ses affaires bien sèches. Le procédé est sans doute d'une banalité abyssale, mais je le découvre, ayant haï et fui les piscines durant de longues années. Je joue les blasées en déposant ma serviette, le front ceint de mon hydrodynamique bonnet noir.
Cette fois, on ne joue plus, je repère un couloir d'eau pas trop plein, à coté du bord et coté fond haut. L'entrée dans l'eau à 25° est décidément très aisée, je fais la queue derrière de jeunes hommes costauds à lunettes et me prépare à m'élancer. C'est parti, je débute avec un exercice d'entrainement, une sorte de papillon dos. Allongé sur le dos, on lance les deux bras tendus au-dessus de sa tête et les ramène ensemble, le tout en battant des pieds. Je vais alterner avec du vrai dos crawlé, car il ne faut pas tarder, ils nagent vite devant et derrière moi, cela me met la pression et je m'embrouille dans les mouvements. J'ai aussi du mal, respirant avec peine, à tenir la longueur. Pourtant, la musculation a laissé des traces et je suis agréablement surprise par la force de mes bras, ils se fatiguent assez peu, répondent à mes sollicitations, même l'épaule gauche ne me cause aucun problème.
Pourtant, j'avance mal, je m'étouffe et m'essouffle, non seulement parce que j'ai peur de l'eau, mais aussi parce que je n'ai jamais été bonne en endurance, je ne sais pas respirer et les paquets d'eau me paniquent. Finalement, le pince-nez est à ma bretelle, je n'ai pas réussi à le faire tenir sur mon nez... Pourtant, il y a deux ans, quand je l'ai acheté, il m'avait bien servi, mais là, trop de stress, de maladresse, rien à faire. J'ai fait deux courtes pauses, ai changé de couloir et me suis à moitié étouffée à force de prendre la tasse, nager de travers et rentrer dans les gens ou nager de travers et me râper la peau sur le bord... Encore au bord du désespoir, je suis allée marcher un peu et tenter de me détendre la colonne dans le petit bain à 30°.
C'est frustrant, cette panique, cette respiration qui ne suit pas, je voudrais pouvoir me défouler comme à la muscu, sentir ma force, sentir la résistance de l'eau. Au lieu de quoi je m'emmêle, refusant lâchement d'admettre que si je nage au bord, c'est que je n'ai pas le courage de mettre la tête sous l'eau pour passer les bouées de plastique... En regardant le fond à 4,10 mètres, je me suis fugitivement souvenue de la dernière fois que j'y suis allée, c'était sans doute au collège, pour le troisième triton, mon plus haut niveau en natation. En vérité, j'avais triché, je ne savais déjà plus plonger, je me suis laissée couler, les pieds en avant et ai ainsi pu les passer sous les aisselles du mannequin qui gisait au fond. La monitrice ne regardait pas, sinon j'aurais échoué à cet examen. Ca fait quoi ? Vingt ans que je n'ai pas plongé, je ne sais plus le faire, la peur m'a raidifié le corps, la nuque, bloqué les poumons, le diaphragme et vidée de toutes forces.
Aujourd'hui, j'ai 35 ans, je prends des leçons de nage en regardant les petites gamines et les grands bonshommes, attentive, maladroite et coléreuse, qu'est-ce qui ne va pas, chez moi, putain ? Il y a longtemps, bien longtemps, j'ai eu peur de mourir noyée, deux fois de suite. Une fois à la piscine, ce qui a bien ébranlé mon peu de confiance et une autre fois à la mer, dans les puissantes rouleaux de Donnant, à Belle-Isle. Deux grosses tasses qui laissent grelottante et pantelante, sans oser s'en faire consoler, car on t'avait prévenue, c'est de ta faute, ta faute, tu as fait une bêtise. Et depuis tout ce temps, personne ne comprend pourquoi tu as peur de l'eau, toi, ex-bébé turbo. Respire, ne te cambre pas, pousse sur les pieds te dis ta mère depuis toutes ces années, qu'est-ce qui lui prend à cette petite qui nageait si bien, tu devrais bien nager la brasse puisque ta maman le fait si bien, si digne et royale, la tête bien levée pour épargner ses lunettes de l'eau. Mais tu ne sais que barboter à moitié comme un petit chien et glapir de frayeur, j'ai pas pied, j'ai pas pied ! tu n'as pas pied, et alors, mais nage !
Malgré les quelques encouragements moins imbéciles de mes sœurs, je n'ai plus jamais fait confiance, plus jamais respiré aisément dans l'eau, plus jamais pu relâcher mon corps autrement que seule, dans l'Océan Indien ou la Méditerranée et encore. Aujourd'hui, dans ce grand bain, je me souviens d'apprendre, flottant sur le dos, une main soutenant ma nuque, celle de ma mère et déjà j'avais peur. Que donnerais-je aujourd'hui pour une main ferme sous la nuque, me détendre, me reposer, m'abandonner ?
Eh bien, pas les 85,50 € pour le forfait de leçon de natation, je ne les ai pas, point final. Ce n'est pas grave, l'habitude va venir, j'espère que mes yeux et mes sinus, fort endoloris, s'habitueront au chlore, comme ils supportent relativement le sel. Il faut plonger, quand les profondeurs seront aisées et familières, la surface ne sera plus un problème. Je laisse passer un jour ou deux, que les courbatures s'estompent, que l'angoisse s'apaise. Je suis portée par l'envie, le désir quasi viscéral de retrouver le jeu, le plaisir, de délier mon corps dans cet univers d'apesanteur, de libérer mon ventre, le diaphragme, les poumons et d'enfin dominer la peur.
Mais en attendant, il faut rincer le maillot.
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