La litote, c'est pas de la tarte
Chers lecteurs, la vie est pleine de surprise et vous voici donc devant deux billets coup sur coup, n'allez pas vous habituer, ce serait une erreur.
Suite à un twitt, je me suis penchée sur mes livres de rhétorique (sauf un, introuvable, le petit Molinié, crotte !) sur les définitions de la litote et de l'euphémisme, suite à quoi il a bien fallu se pousser jusqu'à l'exténuation. Non, pas celle-là : la figure !
Reprenons l'affaire de plus haut, je sens bien que quelques-uns sont perdus. Au commencement était l'atténuation, c'est-à-dire l'ensemble de toutes les figures de style destinées à amoindrir une idée, pour diverses raisons. Ces raisons diverses nous servirons beaucoup pour la distinction des figures que sont l'exténuation, la litote et l'euphémisme.
Commençons avec notre grande copine la litote. La litote dit moins pour suggérer plus ; pour une idée n, la litote dit n-, mais le récepteur comprend n+. Sa forme
est souvent celle de la négation du contraire, ce que l'on retrouve dans le fameux exemple de Chimène disant à Rodrigue : "Va, je ne te hais point." qui signifie donc "Va, je t'adore", alors même
que celui-ci vient de tuer le père de celle-là !
Mais au fond, elle est bien plus proche de nous que nous ne pensons, elle appartient à notre language courant ironique le plus banal : on ne mourra pas de faim,
c'est pas des blagues, c'est pas rigolo tous les jours, c'est pas pour demain que ça arrivera, etc. On peut voir aisément que cette ironie sert le laconisme, c'est-à-dire qu'en suggérant, on
s'épargne des explications et les émotions qu'elles occasionnent.
Passons à l'euphémisme, ce mot vite dégoupillé, le plus souvent à mauvais escient... L'euphémisme sert un but essentiellement diplomatique, il dit moins pour ne pas choquer, ne pas blesser, ne pas heurter les sentiments du récepteur. Son procédé qui ne livre qu'un très petit n pour suggérer le vrai n se donne le temps de la comprégension, de la pénétration lentre d'une idée que l'on ne veut pas admettre.
Il sert la pudeur, la bienséance et le respect d'autrui quant à des sujets comme la mort ou le sexe. Tous les "Jacob connut Sarah" de la Bible sont de cet ordre, tous les "il s'en est allé", "il s'est éteint", "il nous a quitté" sont des euphémismes. S'il peut être détourné, il est néanmoins grave, probablement un peu hypocrite, à l'occasion.
Introduisons ici ce petit nouveau vieilli qui nous a des allures courbattues et lasses, j'ai nommé l'exténuation. Cette figure fonctionne comme l'euphémisme et prend parfois la forme d'une litote, dont il ne se distingue que par l'intonation de la voix. Elle s'occupe de ce que l'euphémisme ne traite pas, c'est à dire le trivial, le quotidien et bien souvent nos propres personnes, par modestie ou simplement pour diminuer la portée de son propos. Le châtelain parle de sa maison, le motard de sa pétrolette ou le savant de ses "quelques lumières" sur un sujet qu'il maîtrise parfaitement.
Y voyez-vous plus clair, chers lecteurs ? Pas tant que cela n'est-ce pas ? Il en est ainsi du langage qui dépasse très largement l'information stricte d'un fait, il joue, se tortille, se renverse et taquine les interprétations les plus pointues. j'espère vous laisser avec un joyeux in petto diplomatique s'écriant des "Mais non, c'est une litote !" ou "Mais non, c'est une exténuation !", la prochaine fois que vous entendrez dire que "c'est un euphémisme."
Pour finir, un petit jeu : dans laquelle de ces catégories molles placeriez-vous l'expression bien connue "à charge de revanche" ?...