C'est que le début, du chlore, du chlore
C'était mardi, la piscine avait rouvert la veille, après des mois de travaux, tout le long du chemin j'avais senti le stress monter, le rythme soutenu de marche
maintenant une bonne respiration profonde. Devant le grand escalier, petite montée d'adrénaline, j'ai mis quelque secondes à trouver, de toutes ces portes vitrées, laquelle s'ouvrait vers
l'intérieur. Je suis rentrée, ai fait la queue et ai obtenu un fascicule avec les horaires et les tarifs. Sur le perron, j'ai respiré, contente de cette micro-victoire qui asseyait ma
détermination. Je suis repartie par le même chemin, suivant plus ou moins un type en fauteuil qui m'avait semblé séduisant et tentant de fantasmer sur une relation avec lui. Le stress se calmait
doucement.
C'est le surlandemain que j'ai trouvé le courage d'y retourner. J'avais mal dormi, m'étais levée tard, avais déjeuné tard. Je ne mangeai donc pas à midi et, à l'heure dite pour y être à peu près à l'ouverture de l'après-midi, m'emparai de mon sac et partai, déterminée et le cœur battant. A l'accueil, une petite hôtesse fine et brune, la jolie quarantaine tonique. Je lui demandai un forfait pour dix euros.
-Vous voulez dire dix entrées, me demande-t-elle, à demi-sérieuse ?
-Oui, dix entrées... je suis un peu... nerveuse, m'excusai-je avec un sourire crispé. Je regardai sur ma gauche, en contrebas, la piscine s'étendait qui grouillait à moitié de bonnets barboteurs, il y avait du monde et une classe, au fond, très bruyante. Reprenant un peu de calme, je m'enquis de l'ouverture au public en parallèle de celle aux scolaires, je ne compris pas bien la réponse de l'hôtesse, si ce n'est que la classe serait partie vers 16h. Elle était sortie de la cabine pour me parler, mais elle m'arrivait aux clavicules, difficile de lire sur les lèvres... Bon, me voilà munie de mes billets, je me dirige vers le "composteur" qui doit m'expliquer comment ça fonctionne.
Il est âgé, s'emmerde royalement, m'arrache le billet des mains avant de le jeter à la poubelle ; quand je lui demande comment "ça" fonctionne, il me fait de grands gestes et marmonne une phrase avec un fort accent local où je pioche "là-bas" et "descendez", me voilà fort édifiée... Je monte un petit escalier, tombe sur des rangées de casiers dont l'accès est barré, il faut les contourner. Je contourne, repère le panneaux "dames", m'y dirige, entre dans une cabine pour me changer. C'est bien d'une débutante, il me faut mettre ici un maillot qui aurait si bien été enfilé chez soi... Je pose mon sac sur le microscopique banc, l'œil courrocé de devoir surveiller les deux portes lattérales et sans le moindre verrou qui le flanque. Je me change, appliquée, à peu près soigneuse, je plie mes effets, organise leur rangement dans le sac, j'ai oublié de prendre une trousse de toilette et un sac de plastique pour les chaussures, à noter pour la prochaine fois. Le stress commence à être bien palpable, mes gestes se font brusques, un peu malhabiles.
Changée de pied en cap, je fourre mon sac et mon sac à main dans un casier dont la clef se bloque au deux tiers de sa rotation. Déjà abrutie par le stress, je m'obstine, teste d'autres portes identiques qui se bloquent de la même façon, m'énerve, me désespère, laisse passer quelques personnes le cœur serré et finis quand même par demander à un jeune homme. Il teste et me demande si j'ai mis un euro... sur l'intérieur de la porte, un boitier bleu fait pendant à la serrure, il faut y glisser un euro pour pouvoir la fermer totalement. Il ajoute quelque chose avec un sourire gentil que je ne comprends pas et s'en va avec mon remerciement nerveux. L'euro glissé, la porte se ferme, je passe un peu de temps, toujours plus maladroite, à serrer le lien qui porte la clef autour de mon poignet. Je suis les personnes qui m'ont précédées, descends un escalier, passe sous la douche pour rincer un peu ma crème de jour et mon déodorant, c'est que je me suis lavée, ce matin. J'enfile le bonnet, passe le pédiluve, j'y suis.
Devant moi une grande piscine dont j'apprendrai plus tard qu'elle fait 50 x 21 mètres. Pas de lignes d'eau, probablement pour laisser la libre disposition du bassin aux classes, du coté où l'on a pied. Pour l'instant, je me moque de tout ça, il faut y aller, rentrer dans l'eau et batailler pour de dégotter une ligne d'eau parmi les nageurs aguerris. Surprise, l'eau est tiède, le tableau indique vingt-cinq degrés. C'est très agréable, j'en profiterai s'il n'y avait pas tant de monde et
si mon cœur battait plus raisonnablement... Je me lance, directement sur le dos, obstinée, nerveuse, mes bras partent un peu dans tout les sens, retour sur un mode à peine plus calme. je trouve une ligne d'eau tranquille, sous le fil de fanions, j'essaie de nager un peu plus droit, devant rapidement partager avec une nageuse à lunettes, qui nage, lente et solide, une brasse coulée et puissante qui signale son habituée, sans parler de sa peau de phoque, épaisse et moëlleuse typique des amphibiens.
Je me fais l'effet d'une hystérique, je barbote tant bien que mal, étend de mieux en mieux le bras gauche, me cogne à la rive d'en face, repars fébrile, le ventre contracté, à demi étouffée par la panique, je m'obstine, encore et encore. Encore un peu et je sors de l'eau, mon cœur bat si fort, les genoux qui flagellent, les mains qui tremblent, j'étouffe, il s'en faut de peu que je fonde en larmes. Je respire, allons, ça va aller, c'était pas si mal et puis l'aisance viendra avec l'habitude. Je redescends : c'est pire, je prends des paquets de flotte dans les narines, il y a encore plus de monde, des jeunes personnes, filles et garçons, brutaux, mal élevés, indifférents, ils coupent les lignes improvisées sans vergogne, éclaboussent et cognent le vilain canard sourd qui ne les entend pas venir, s'en foutent, passent. Plusieurs fois je me suis remontée au bord, contente de pouvoir compter sur mes petits biceps rond pour sortir totalement mes poumons de l'eau et respirer, respirer librement, bon Dieu ! Je sens bien que c'est ma peur qui rend les choses si difficiles, les autres sont si bien dans cette eau tiède, ils sont confiants, quelle soit leur taille et leur âge.
Je sors de l'eau découragée et épuisée, je vois flou, mes mains ne tremblent plus pourtant, presque plus... Sous la douche, je retire mon bonnet et respire enfin. On ne peut pas se dénuder, c'est dommage, j'aurais bien aimé confier mon corps meurtri aux mains chaudes et maternelles de ce jet salvateur. Pas de savon, je me frotte un peu ici et là et remonte me sécher et me changer dans une cabine à deux portes, où je n'aurais que mes doigts pour me coiffer. C'est sur le chemin du retour que je comprends que j'aurai dû récupérer l'euro qui est resté dans la porte du casier. Je rigole, je m'en fous, je suis allée à la piscine, seule, j'ai affronté la peur une heure de suite, pour moi, juste pour moi, pour ma santé et, oui, mon avenir.
Demain, je ferai mieux, demain, je saurai mieux, mais demain est loin, c'est un autre jour et pour le moment, j'ai faim.
C'est le surlandemain que j'ai trouvé le courage d'y retourner. J'avais mal dormi, m'étais levée tard, avais déjeuné tard. Je ne mangeai donc pas à midi et, à l'heure dite pour y être à peu près à l'ouverture de l'après-midi, m'emparai de mon sac et partai, déterminée et le cœur battant. A l'accueil, une petite hôtesse fine et brune, la jolie quarantaine tonique. Je lui demandai un forfait pour dix euros.
-Vous voulez dire dix entrées, me demande-t-elle, à demi-sérieuse ?
-Oui, dix entrées... je suis un peu... nerveuse, m'excusai-je avec un sourire crispé. Je regardai sur ma gauche, en contrebas, la piscine s'étendait qui grouillait à moitié de bonnets barboteurs, il y avait du monde et une classe, au fond, très bruyante. Reprenant un peu de calme, je m'enquis de l'ouverture au public en parallèle de celle aux scolaires, je ne compris pas bien la réponse de l'hôtesse, si ce n'est que la classe serait partie vers 16h. Elle était sortie de la cabine pour me parler, mais elle m'arrivait aux clavicules, difficile de lire sur les lèvres... Bon, me voilà munie de mes billets, je me dirige vers le "composteur" qui doit m'expliquer comment ça fonctionne.
Il est âgé, s'emmerde royalement, m'arrache le billet des mains avant de le jeter à la poubelle ; quand je lui demande comment "ça" fonctionne, il me fait de grands gestes et marmonne une phrase avec un fort accent local où je pioche "là-bas" et "descendez", me voilà fort édifiée... Je monte un petit escalier, tombe sur des rangées de casiers dont l'accès est barré, il faut les contourner. Je contourne, repère le panneaux "dames", m'y dirige, entre dans une cabine pour me changer. C'est bien d'une débutante, il me faut mettre ici un maillot qui aurait si bien été enfilé chez soi... Je pose mon sac sur le microscopique banc, l'œil courrocé de devoir surveiller les deux portes lattérales et sans le moindre verrou qui le flanque. Je me change, appliquée, à peu près soigneuse, je plie mes effets, organise leur rangement dans le sac, j'ai oublié de prendre une trousse de toilette et un sac de plastique pour les chaussures, à noter pour la prochaine fois. Le stress commence à être bien palpable, mes gestes se font brusques, un peu malhabiles.
Changée de pied en cap, je fourre mon sac et mon sac à main dans un casier dont la clef se bloque au deux tiers de sa rotation. Déjà abrutie par le stress, je m'obstine, teste d'autres portes identiques qui se bloquent de la même façon, m'énerve, me désespère, laisse passer quelques personnes le cœur serré et finis quand même par demander à un jeune homme. Il teste et me demande si j'ai mis un euro... sur l'intérieur de la porte, un boitier bleu fait pendant à la serrure, il faut y glisser un euro pour pouvoir la fermer totalement. Il ajoute quelque chose avec un sourire gentil que je ne comprends pas et s'en va avec mon remerciement nerveux. L'euro glissé, la porte se ferme, je passe un peu de temps, toujours plus maladroite, à serrer le lien qui porte la clef autour de mon poignet. Je suis les personnes qui m'ont précédées, descends un escalier, passe sous la douche pour rincer un peu ma crème de jour et mon déodorant, c'est que je me suis lavée, ce matin. J'enfile le bonnet, passe le pédiluve, j'y suis.
Devant moi une grande piscine dont j'apprendrai plus tard qu'elle fait 50 x 21 mètres. Pas de lignes d'eau, probablement pour laisser la libre disposition du bassin aux classes, du coté où l'on a pied. Pour l'instant, je me moque de tout ça, il faut y aller, rentrer dans l'eau et batailler pour de dégotter une ligne d'eau parmi les nageurs aguerris. Surprise, l'eau est tiède, le tableau indique vingt-cinq degrés. C'est très agréable, j'en profiterai s'il n'y avait pas tant de monde et
si mon cœur battait plus raisonnablement... Je me lance, directement sur le dos, obstinée, nerveuse, mes bras partent un peu dans tout les sens, retour sur un mode à peine plus calme. je trouve une ligne d'eau tranquille, sous le fil de fanions, j'essaie de nager un peu plus droit, devant rapidement partager avec une nageuse à lunettes, qui nage, lente et solide, une brasse coulée et puissante qui signale son habituée, sans parler de sa peau de phoque, épaisse et moëlleuse typique des amphibiens.
Je me fais l'effet d'une hystérique, je barbote tant bien que mal, étend de mieux en mieux le bras gauche, me cogne à la rive d'en face, repars fébrile, le ventre contracté, à demi étouffée par la panique, je m'obstine, encore et encore. Encore un peu et je sors de l'eau, mon cœur bat si fort, les genoux qui flagellent, les mains qui tremblent, j'étouffe, il s'en faut de peu que je fonde en larmes. Je respire, allons, ça va aller, c'était pas si mal et puis l'aisance viendra avec l'habitude. Je redescends : c'est pire, je prends des paquets de flotte dans les narines, il y a encore plus de monde, des jeunes personnes, filles et garçons, brutaux, mal élevés, indifférents, ils coupent les lignes improvisées sans vergogne, éclaboussent et cognent le vilain canard sourd qui ne les entend pas venir, s'en foutent, passent. Plusieurs fois je me suis remontée au bord, contente de pouvoir compter sur mes petits biceps rond pour sortir totalement mes poumons de l'eau et respirer, respirer librement, bon Dieu ! Je sens bien que c'est ma peur qui rend les choses si difficiles, les autres sont si bien dans cette eau tiède, ils sont confiants, quelle soit leur taille et leur âge.
Je sors de l'eau découragée et épuisée, je vois flou, mes mains ne tremblent plus pourtant, presque plus... Sous la douche, je retire mon bonnet et respire enfin. On ne peut pas se dénuder, c'est dommage, j'aurais bien aimé confier mon corps meurtri aux mains chaudes et maternelles de ce jet salvateur. Pas de savon, je me frotte un peu ici et là et remonte me sécher et me changer dans une cabine à deux portes, où je n'aurais que mes doigts pour me coiffer. C'est sur le chemin du retour que je comprends que j'aurai dû récupérer l'euro qui est resté dans la porte du casier. Je rigole, je m'en fous, je suis allée à la piscine, seule, j'ai affronté la peur une heure de suite, pour moi, juste pour moi, pour ma santé et, oui, mon avenir.
Demain, je ferai mieux, demain, je saurai mieux, mais demain est loin, c'est un autre jour et pour le moment, j'ai faim.
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