Billevesées sur l'état de victime
Chers lecteurs, aujourd’hui je m’interroge sur la victimisation. Il y a peu Vinv1n a publié un billet où il est question d’un sourd équipé de deux « sonotones ». Mon sang ne fait qu’un tour en lisant ce mot et sur Touitère, je lui dit qu’il me blessait. Il m’a répondu en privé par « la bise » et un smiley de clin d’œil. J’ai mis un bon moment à comprendre qu’il pensait que je plaisantais et lui a donc écrit que j’étais sérieuse et prenait ce mot erroné comme une insulte. Il n’a pas répondu.Je suis allée au bout de ma colère, de ce que ce mot impliquait pour moi : essentiellement les souffrances de mon père qui a grandi avec et a vécu de belles humiliations bien salopes grâce à ce boîtier peu discret, peu pratique et assez peu performant, d’autant qu’il ne nourrissait en son qu’une oreille, sur ma souffrance de ne pouvoir calmer sa souffrance (et donc mon angoisse)... C’était le début des aides auditives, un net progrès sur le cornet acoustique, ensuite ont été crées les prothèses analogiques, deux gros haricots roses à placer sur les oreilles avec un embout pour mener le son au fond de celles-ci. Maintenant, on fait des prothèses numériques. C’est comme si je ramenais le Blu-ray au VHS, un peu, de comparer les prothèses de maintenant au sonotone.
Et aujourd’hui, c’est la journée des droits de la femme, que tout le monde appelle la journée de la femme et sur Touitère et Faicebouc les blagues fusent, on se doit tous de trouver la beauferie délicieuse, c’est une preuve d’amour, d’humour, de cool décalage sur le fond de la vraie beauferie méchante, celle que l’on prétend moquer en s’y identifiant… La dérision, toujours, tout est très bon enfant. Et je lis un billet qui me plaît chez Mademoiselle, une féministe, il rappelle tant de choses ! Il m’oblige aussi à regarder en moi ces régions pas nettes, pas claires, où la peur fait régner des arrière-pensées pas bien belles.
Et puis Murray fustigeant la tendance victimaire, H. R. qui me l’a fait connaître et d’autres hommes si droit dans leurs bottes étroites, si prompts à cracher sur ces viragos féministes et si hystériques dans leurs haines farouches, si génialement méchants, si méchamment drôles. Mais aussi ces hommes fascinés par les femmes fortes, violentes, ces guerrières, ces walkyries à gros seins : quelles sont les peurs et les désirs frustrés que toutes ces passions cachent ? Quid de la victime, du regard qu’il faut porter sur elle ? A quelle point est-ce un état, à quel point c’est une posture, si c’est permanent, si c’est ponctuel, si la faute à la violence des forts, à l’éducation des faibles ou à l’attachement que l’on manifeste à l’indifférence, à la douleur, à l’émotion, aux pulsions ?
Et la victime, là-dedans ? Il me semble que s’il y a une solution pour les victimes, toutes les victimes, c’est dans l’expression de la douleur, libre, sans crainte et dans le passage à autre chose. En gros, pleurer un bon coup et poursuivre sa route.
Croyez-moi, ce n’est pas facile de penser cela, moi qui vit dans le statique depuis si longtemps, moi qui fuis, moi qui me réfugie… Mais enfin, je voudrais pouvoir penser avec ma tête et avec le coté intelligent de mon cœur, celui qui bat, qui pulse et avance, pas avec mes peurs.
Alors, la victime ? La victime est une prisonnière, du traumatisme, de la société, de la douleur. Si l’on a pour idée que l’être libre est celui qui peut continuer d’avancer sans pour autant être violent, indifférent et brutal, ne peut-on avoir, en tant qu’être libre, l’envie ou le besoin ou le devoir d’aider la victime à redevenir libre ? Et si, réellement, elle ne l’a jamais été ? Il faut bien localiser le trauma pour le soigner… Ne peut-on, comme victime, avoir envie de se lever, de partir, d’avancer enfin vers d’autres horizons ? Demander de l’aide, l’accepter, l’entendre, y répondre, ne sont-ce pas de vrais actes adultes ?
Je vais m’arrêter, car dans ma tête, ça tournera longtemps encore. Finalement, vous voyez, lecteurs, je n’ai pas très envie de m’attacher, surtout à une idée, car tout cela n’est que rhétorique et que l’essentiel n'est pas là.
Et caetera.