Charles Pépin à mon chevet
Je l'avais vu à la Fnuck, mais sa couverture m'apparut franchement putassière et je n'y prétai pas plus d'attention, malgré son titre
tentateur : Les Philosophes sur le divan. Plus tard, en parcourant avec grand plaisir un blog auquel je me suis abonnée, je tombai sur une entrevue de l'auteur, Charles Pépin, qui me plut.
Le souvenir de mes études en philosophie me demeure le plus souvent très agréable, surtout la période Gomez-Muller et le discours du sieur Pépin m'y faisant songer, je décidai de lire le livre en question.
Le parti pris de l'auteur est très audacieux ; de nos jours, Platon, Kant et Sartre se croisent dans la salle d'attente du cabinet de Freud, et viennent livrer leurs états d'âme sur le divan du célèbre psychanalyste. Il va sans dire que j'ai lu des textes de tous ces auteurs, en français, avec plus ou moins de bonheur et de pénétration. Je dois reconnaître qu'il me fut très difficile, des les premières lignes, de ne pas retrouver tant soi peu le fameux phrasé de Freud, car c'est lui qui livre le récit des séances, ces longues phrases à circonvolutions complexes que l'allemand d'alors héritait directement du latin qui avait dominé si longtemps les écrits scientifiques. Non pas que ce phrasé me manqua en lui-même, car je ne l'appréciai guère, mais il aurait eu le mérite de me recaler dans cette pensée laborieuse et géniale, de m'ouvrir aux profondeurs.
Point de cela. Notre Freud a une pensée sautillante, il s'exclame et s'interroge comme un jeune psy en formation, alors qu'il est censé avoir un siècle - eh oui - d'une pratique assidue du sondage des âmes. Est-ce pour resituer l'exotisme teuton que le voilà affublé de l'expression "bien cher" qu'il adresse à ses patients, je ne sais, mais, croyez-moi, ça m'agace. Une coquetterie pour définir un homme, c'est faible et peut-être même de mauvais aloi. Passons.
Ce livre, si vous avez envie d'y jeter un œil, vous le trouverez au rayon philosophie de votre librairie, et non au rayon roman, ce qui est une excellente chose... Car d'un point de vue strictement littéraire et pour reprendre l'expression d'une connaissance, c'est fondamentalement une catastrophe. Entre les dialogues, les résumés philosophiques et les extraits d'œuvres, on passe sans cesse du mauvais roman au cours magistral. Ce n'est rien de dire que Pépin n'est pas romancier, son verbe est précis, universitaire, roide et plat. Aucun plaisir d'écriture, du verbe, de la phrase ; la prosodie lui est étrangère ; le rythme, les rimes, les onctuosités littéraires ne sont pas de son monde.
Je passe sur l'usage du barbarisme "frustre" qui ne laisse pas de me navrer... Aucun jeu de correspondance, d'annonce, d'indice, sauf, pour ces dernières, dans la progression de l'analyse des personnages. L'économie narrative n'est pas rythmée, car les chapitres contenant chacun une séance ne sont pas strictement réguliers, on peut avoir deux séances de Platon ou de Sartre qui se suivent, pourquoi, je m'interroge encore. Même ce rythme-là ne nous est pas accordé. Peut-être qu'en vertu de la philosophie et de la psychanalyse qui sont censées déranger le ronron de la sottise, l'auteur voulait sauver le lecteur d'un confort de lecture coupable car abrutissant, si tel est bien le cas, la réussite est complète en ce qui me concerne !
En tous les cas, cela me procure une excellente révision de textes lointains et me permet d'aborder par la pente facile d'autres textes qui me sont encore inconnus. C'est là une immense vertu de ce livre, il est conçu pour les étudiants, les lycéens et toute personne désireuse d'approcher la philosophie sans grands bagages par devers soi. Pour autant, ce n'est pas niais, d'ailleurs, je retrouve avec grand plaisir le postulat de l'auteur, qui accuse les philosophes de prétention à travers leur manie qui consiste à croire que la vérité est dans la pensée, et que celles-ci peuvent la circonscrire. C'est le but de cette analyse, les philosophes s'interrogent sur leur douleur, doivent abandonner le froid raisonnement, doivent entendre leurs sentiment avant de les comprendre, reprendre contact avec l'histoire, avec l'enfant.
En cet autre sens, le livre recouvre un autre intérêt, on y retrouve l'ambiance des séances chez un psychanalyste, les tâtonnements, les résistances, les tests, la colère et sans doute (je n'ai pas finis la lecture), les larmes. On entre dans la pensée du psychanalyste, ses questions, ses déductions, ses relances ciblées, ses suggestions audacieuses et même sa bonté.
Deux choses pourtant me déçoivent, indépendamment de mon sévère jugement littéraire, quoique cela le rejoigne, vous allez comprendre pourquoi. Tout d'abord, la seule alternative proposée à la recherche du vrai par le filtre de la philo est la psychanalyse. Quid de la spiritualité ? Elle est, semble-t-il réduite au symbolisme du Dieu-parent ou du Dieu-Surmoi, il me semble que Charles Pépin a encore beaucoup à apprendre de ce qui ne se conçoit pas comme une pensée et ne se ressent pas comme un émoi. Vous me direz avec raison que l'état spirituel a ceci de spécifique qu'il ne s'inscrit pas dans le langage, qu'il ne se décrit pas, qu'il échappe au verbe. Mais voici que nous abordons ma seconde réserve : Charles, qu'as-tu fait de l'art ? Qu'est-ce que l'art, sinon ce saisissement de l'indicible, cette approche en deux, en trois en mille bandes de la vérité ? Croire que la littérature n'est qu'une posture, une pose, une prétention creuse, c'est lui faire le procès du plus stupide prosaïsme, c'est, pour le coup, une vision de troglodyte enchainé dans sa caverne ! J'ose croire que ce n'est pas la vision de l'auteur, mais c'est, malheureusement l'écueil de son écriture ; non, un roman ne s'écrit pas comme un cours magistral ponctué de digressions intellectuelles ! Ce n'est pas un roman, juste un essai fictionnel, et quoi encore ?
Au final, j'ai l'impression que C. Pépin se refuse ce qu'il reproche à ses philosophes : le lâcher-prise. Habité par ses idées comme des obsessions, il dialogue avec leur pensée et se plonge dans leur psychisme sans écouter son cœur, son propre cri, la source de sa poésie... Quoi qu'il en soit, j'espère que cela l'aura fait avancer dans sa propre analyse, il suit une bonne voie, il est accompagné de tous mes vœux.
En attendant, je poursuis ma lecture avec humilité, curiosité et docilité, car, oui, le jeu en vaut la chandelle. Le postulat et la manière sont audacieux et généreux, ils valent de passer sur des réserves de spécialiste (comme disent les journalistes) et de suivre jusqu'au bout ce chemin étonnant. L'idée que la philosophie trouve son ferment dans les souffrances névrotiques n'est pas neuve, mais mettre en scène le dévoilement de cette filiation inconsciente, il fallait oser. Il a osé ; chapeau.
Le souvenir de mes études en philosophie me demeure le plus souvent très agréable, surtout la période Gomez-Muller et le discours du sieur Pépin m'y faisant songer, je décidai de lire le livre en question.
Le parti pris de l'auteur est très audacieux ; de nos jours, Platon, Kant et Sartre se croisent dans la salle d'attente du cabinet de Freud, et viennent livrer leurs états d'âme sur le divan du célèbre psychanalyste. Il va sans dire que j'ai lu des textes de tous ces auteurs, en français, avec plus ou moins de bonheur et de pénétration. Je dois reconnaître qu'il me fut très difficile, des les premières lignes, de ne pas retrouver tant soi peu le fameux phrasé de Freud, car c'est lui qui livre le récit des séances, ces longues phrases à circonvolutions complexes que l'allemand d'alors héritait directement du latin qui avait dominé si longtemps les écrits scientifiques. Non pas que ce phrasé me manqua en lui-même, car je ne l'appréciai guère, mais il aurait eu le mérite de me recaler dans cette pensée laborieuse et géniale, de m'ouvrir aux profondeurs.
Point de cela. Notre Freud a une pensée sautillante, il s'exclame et s'interroge comme un jeune psy en formation, alors qu'il est censé avoir un siècle - eh oui - d'une pratique assidue du sondage des âmes. Est-ce pour resituer l'exotisme teuton que le voilà affublé de l'expression "bien cher" qu'il adresse à ses patients, je ne sais, mais, croyez-moi, ça m'agace. Une coquetterie pour définir un homme, c'est faible et peut-être même de mauvais aloi. Passons.
Ce livre, si vous avez envie d'y jeter un œil, vous le trouverez au rayon philosophie de votre librairie, et non au rayon roman, ce qui est une excellente chose... Car d'un point de vue strictement littéraire et pour reprendre l'expression d'une connaissance, c'est fondamentalement une catastrophe. Entre les dialogues, les résumés philosophiques et les extraits d'œuvres, on passe sans cesse du mauvais roman au cours magistral. Ce n'est rien de dire que Pépin n'est pas romancier, son verbe est précis, universitaire, roide et plat. Aucun plaisir d'écriture, du verbe, de la phrase ; la prosodie lui est étrangère ; le rythme, les rimes, les onctuosités littéraires ne sont pas de son monde.
Je passe sur l'usage du barbarisme "frustre" qui ne laisse pas de me navrer... Aucun jeu de correspondance, d'annonce, d'indice, sauf, pour ces dernières, dans la progression de l'analyse des personnages. L'économie narrative n'est pas rythmée, car les chapitres contenant chacun une séance ne sont pas strictement réguliers, on peut avoir deux séances de Platon ou de Sartre qui se suivent, pourquoi, je m'interroge encore. Même ce rythme-là ne nous est pas accordé. Peut-être qu'en vertu de la philosophie et de la psychanalyse qui sont censées déranger le ronron de la sottise, l'auteur voulait sauver le lecteur d'un confort de lecture coupable car abrutissant, si tel est bien le cas, la réussite est complète en ce qui me concerne !
En tous les cas, cela me procure une excellente révision de textes lointains et me permet d'aborder par la pente facile d'autres textes qui me sont encore inconnus. C'est là une immense vertu de ce livre, il est conçu pour les étudiants, les lycéens et toute personne désireuse d'approcher la philosophie sans grands bagages par devers soi. Pour autant, ce n'est pas niais, d'ailleurs, je retrouve avec grand plaisir le postulat de l'auteur, qui accuse les philosophes de prétention à travers leur manie qui consiste à croire que la vérité est dans la pensée, et que celles-ci peuvent la circonscrire. C'est le but de cette analyse, les philosophes s'interrogent sur leur douleur, doivent abandonner le froid raisonnement, doivent entendre leurs sentiment avant de les comprendre, reprendre contact avec l'histoire, avec l'enfant.
En cet autre sens, le livre recouvre un autre intérêt, on y retrouve l'ambiance des séances chez un psychanalyste, les tâtonnements, les résistances, les tests, la colère et sans doute (je n'ai pas finis la lecture), les larmes. On entre dans la pensée du psychanalyste, ses questions, ses déductions, ses relances ciblées, ses suggestions audacieuses et même sa bonté.
Deux choses pourtant me déçoivent, indépendamment de mon sévère jugement littéraire, quoique cela le rejoigne, vous allez comprendre pourquoi. Tout d'abord, la seule alternative proposée à la recherche du vrai par le filtre de la philo est la psychanalyse. Quid de la spiritualité ? Elle est, semble-t-il réduite au symbolisme du Dieu-parent ou du Dieu-Surmoi, il me semble que Charles Pépin a encore beaucoup à apprendre de ce qui ne se conçoit pas comme une pensée et ne se ressent pas comme un émoi. Vous me direz avec raison que l'état spirituel a ceci de spécifique qu'il ne s'inscrit pas dans le langage, qu'il ne se décrit pas, qu'il échappe au verbe. Mais voici que nous abordons ma seconde réserve : Charles, qu'as-tu fait de l'art ? Qu'est-ce que l'art, sinon ce saisissement de l'indicible, cette approche en deux, en trois en mille bandes de la vérité ? Croire que la littérature n'est qu'une posture, une pose, une prétention creuse, c'est lui faire le procès du plus stupide prosaïsme, c'est, pour le coup, une vision de troglodyte enchainé dans sa caverne ! J'ose croire que ce n'est pas la vision de l'auteur, mais c'est, malheureusement l'écueil de son écriture ; non, un roman ne s'écrit pas comme un cours magistral ponctué de digressions intellectuelles ! Ce n'est pas un roman, juste un essai fictionnel, et quoi encore ?
Au final, j'ai l'impression que C. Pépin se refuse ce qu'il reproche à ses philosophes : le lâcher-prise. Habité par ses idées comme des obsessions, il dialogue avec leur pensée et se plonge dans leur psychisme sans écouter son cœur, son propre cri, la source de sa poésie... Quoi qu'il en soit, j'espère que cela l'aura fait avancer dans sa propre analyse, il suit une bonne voie, il est accompagné de tous mes vœux.
En attendant, je poursuis ma lecture avec humilité, curiosité et docilité, car, oui, le jeu en vaut la chandelle. Le postulat et la manière sont audacieux et généreux, ils valent de passer sur des réserves de spécialiste (comme disent les journalistes) et de suivre jusqu'au bout ce chemin étonnant. L'idée que la philosophie trouve son ferment dans les souffrances névrotiques n'est pas neuve, mais mettre en scène le dévoilement de cette filiation inconsciente, il fallait oser. Il a osé ; chapeau.
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