J.f. ch. interlocuteur
Je viens de finir un livre, ce qui n'est pas si courant eu égard à la quantité de livres commencés et empilés, languissants, étreignant éperduement leurs marque-pages plus ou moins sophistiqués
par mes soins conçus, piles éparpillées sur diverses surfaces planes : la table-basse, la table haute, la table de chevet, le bureau et toutes les étagères à diposition.
Je viens de finir un livre et je n'ai personne avec qui en parler.
Il me souvient avoir été jalouse, enfant, des ces lectures que tout le monde avait faites avant moi, ce que je pouvais en dire n'intéressait personne, ou il fallait juste que je reçoive ce qui en était dit : je n'ai pas lu ; c'est chiant ; c'est vachement bien. Comme tout autre sentiment, j'ai appris à cacher mon enthousiasme, tout au moins à le doucher par devers moi : personne n'en a rien à faire, ma pauvre. Mon temps se passait à lire tout ce qui pouvait m'intéresser, seule dans mon coin. Le pli fut pris, moi qui avait fait partie d'une bande si longtemps, j'appris à m'enfermer pour me le voir ensuite reprocher, l'ironie cuisante n'apparaissant qu'à mes yeux et sans guère faire sourire mon esprit. Méthodiquement, toutes mes ailes furent rongées, piétinées, arrachées, puis on vint me reprocher de ne pas sortir.
Il faut reconnaître que mes copains de foot n'en avaient pas grand-chose à faire, de la lecture. Plus tard, j'ai rencontré d'autres et de bien meilleures, de vraies premières de la classe, qui parlaient littérature à la maison, qui pouvaient, remplies de leur plaisir et de leurs mots, faire part sans complexes de leurs jouissance de lectrices ; j'étais déjà, depuis longtemps enfermée dans ma bulle solitaire. A la fac, le plaisir de la lecture m'a peu à peu quittée, soit mes enthousiasmes n'étaient pas partagés, soit les échanges demeuraient indigents : c'est dur ; c'est chiant ; je ne comprends pas ; c'est trop bien. Je n'avais plus besoin de la lecture comme d'un refuge, je croyais vivre et peut-être ai-je vécu un peu, en douce.
Depuis quelques années, j'avais appris à parler de moi, des gens, des egos, ces quelques gammes, les plus pauvres, de la conversation. Je parlais de ce qui intéressait, sans donner le sentiment de la lassitude, anémiée pourtant de l'étroitesse qui m'écrasait, inapte aux jeux sociaux et m'y essayant avec une grâce bourrine, raide et empruntée. Ces dernières années, j'ai passé des heures avec des gens à parler de plein de choses, assis à une terrasse de café, et j'ai fini par comprendre que ce n'est pas ainsi que l'on apprend à connaître une personne, si l'on veut bien, on s'enrichit l'un l'autre, si l'on ne veut pas, il ne reste rien.
Pourtant, je ne suis pas dégoûtée de la conversation, mais je n'en attend plus grand chose de grand, le grand surgit parfois, rarement. Et le petit, eh bien, la peine qu'il me demande ne vaut pas toujours la chandelle.
Mais voilà, je viens de finir un livre et j'aimerai un interlovuteur pour prendre du recul et mesurer sa masse, pour partager la joie, pour ouvrir des pistes. Je songe avec envie aux Saint-Exupéry, aux Sarraute, aux Badinter, ces couples non de légende mais bien réels, où la parole et l'écrit sont des exercices frères, l'avers et le revers d'une même médaille, deux mutuelles fécondations de l'esprit...
Oui, j'y songe avec beaucoup d'envie.
Je viens de finir un livre et je n'ai personne avec qui en parler.
Il me souvient avoir été jalouse, enfant, des ces lectures que tout le monde avait faites avant moi, ce que je pouvais en dire n'intéressait personne, ou il fallait juste que je reçoive ce qui en était dit : je n'ai pas lu ; c'est chiant ; c'est vachement bien. Comme tout autre sentiment, j'ai appris à cacher mon enthousiasme, tout au moins à le doucher par devers moi : personne n'en a rien à faire, ma pauvre. Mon temps se passait à lire tout ce qui pouvait m'intéresser, seule dans mon coin. Le pli fut pris, moi qui avait fait partie d'une bande si longtemps, j'appris à m'enfermer pour me le voir ensuite reprocher, l'ironie cuisante n'apparaissant qu'à mes yeux et sans guère faire sourire mon esprit. Méthodiquement, toutes mes ailes furent rongées, piétinées, arrachées, puis on vint me reprocher de ne pas sortir.
Il faut reconnaître que mes copains de foot n'en avaient pas grand-chose à faire, de la lecture. Plus tard, j'ai rencontré d'autres et de bien meilleures, de vraies premières de la classe, qui parlaient littérature à la maison, qui pouvaient, remplies de leur plaisir et de leurs mots, faire part sans complexes de leurs jouissance de lectrices ; j'étais déjà, depuis longtemps enfermée dans ma bulle solitaire. A la fac, le plaisir de la lecture m'a peu à peu quittée, soit mes enthousiasmes n'étaient pas partagés, soit les échanges demeuraient indigents : c'est dur ; c'est chiant ; je ne comprends pas ; c'est trop bien. Je n'avais plus besoin de la lecture comme d'un refuge, je croyais vivre et peut-être ai-je vécu un peu, en douce.
Depuis quelques années, j'avais appris à parler de moi, des gens, des egos, ces quelques gammes, les plus pauvres, de la conversation. Je parlais de ce qui intéressait, sans donner le sentiment de la lassitude, anémiée pourtant de l'étroitesse qui m'écrasait, inapte aux jeux sociaux et m'y essayant avec une grâce bourrine, raide et empruntée. Ces dernières années, j'ai passé des heures avec des gens à parler de plein de choses, assis à une terrasse de café, et j'ai fini par comprendre que ce n'est pas ainsi que l'on apprend à connaître une personne, si l'on veut bien, on s'enrichit l'un l'autre, si l'on ne veut pas, il ne reste rien.
Pourtant, je ne suis pas dégoûtée de la conversation, mais je n'en attend plus grand chose de grand, le grand surgit parfois, rarement. Et le petit, eh bien, la peine qu'il me demande ne vaut pas toujours la chandelle.
Mais voilà, je viens de finir un livre et j'aimerai un interlovuteur pour prendre du recul et mesurer sa masse, pour partager la joie, pour ouvrir des pistes. Je songe avec envie aux Saint-Exupéry, aux Sarraute, aux Badinter, ces couples non de légende mais bien réels, où la parole et l'écrit sont des exercices frères, l'avers et le revers d'une même médaille, deux mutuelles fécondations de l'esprit...
Oui, j'y songe avec beaucoup d'envie.
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