187/366 Ça ne passera pas comme ça
Jean-Jacques, je l'ai vite surnommé Gigi, prononcé "Djidji" comme le faisait Dalida dans Gigi l'amoroso. Nous nous sommes connus à la fac, c'est Valérie — qui deviendrait son épouse — qui me l'a recommandé, car il osait bidouiller les BIOS des ordinateurs et le mien en avait besoin, je ne sais plus pourquoi. Il était grand, avait une magnifique voix et était surtout "just brilliant" (HQI label rouge). Il était drôle et gentil aussi, on est assez vite devenus amis, je l'admirais beaucoup. J'ai suivi l'évolution de l'histoire d'amour avec Valérie, on se voyait souvent, on pouvait discuter des heures. Et puis les couacs sont apparus, il m'a posé des lapins sans faire vraiment semblant de s'en excuser, il était proche de cet homme beau comme l'enfer, un ancien de l'Action française (il l'est toujours). Je me suis fâchée de son mépris, j'ai rompu par mail avec beaucoup de colère. Puis je suis partie pour Toulouse, j'ai changé de monde et d'amis.
Entre temps, j'avais compris que j'avais moins besoin de m'entourer de gens intelligents et cultivés que de gens bons. Avec la pollution, j'ai laissé presque tout mon snobisme et rien de mieux ne pouvait m'arriver. J'ai retrouvé Gigi par FB, ou est-ce lui ? En tout cas, je n'étais plus en colère. Nous avons repris un aimable commerce, je l'ai revu en Vendée, il avait épousé Valérie, il voulait quitter Paris sans le vouloir. Mais je postais des articles sur le féminisme et nous avons fini par nous engueuler assez durement sur le sujet, il m'a virée de ses amis FB. J'ai été très choquée, peinée, une fois de plus je prenais ce mépris dans la face. Quelques mois sont passés, je trouvais vraiment trop idiot de se fâcher pour ça et je lui ai écrit pour lui dire que l'écrit nous rendait plus agressifs que nous ne sommes, qu'il ne fallait plus laisser le médium nous dépasser, il en est tombé d'accord et nous sommes redevenus "amis" sur FB, c'était notre seul moyen de communication, car nous détestons tous deux le téléphone et qu'il ne répond pas aux mails... J'ai un peu censuré mes publications, un moment et j'en ai eu marre, j'ai publié à nouveau ce que je voulais.
Il y a quelques grands axes de publications sur mon "mur" FB : beaucoup de science, d'actualité économique ou géopolitique, des billets de blogs touchants ou profonds, ou les deux, et, oui, des articles féministes. Or, étonnement, Gigi ne réagissait qu'à ceux-là (ou aux articles science pour dénoncer le scientisme, le déconstructivisme, le relativisme, etc.). A mes yeux au moins, il n'a jamais pu cacher la virulence de sa hargne, j'en connais l'origine, les origines, terribles et douloureuses. De mon coté, je me suis parfois agacée de sa casuistique, de ce faux jésuitisme dissimulant mal une colère disproportionnée et énormément de mépris. J'ai tendance à penser que si l'on s'excite hors de proportions pour des choses qui ne concernent ni l'instant ni sa propre personne (ou des très proches), c'est que la colère puise ses racines ailleurs, dans une histoire autre qui ne trouve d'écho dans le présent que dans le cœur de la personne. De mon coté, il y a quelques temps maintenant que je continue de voir la connerie en action écrasante, quotidienne et omniprésente sans sortir systématiquement de mes gonds. Ce n'est pas gagné, mais ça vient, doucement, en lâchant du lest à la fois à l'autre et à mes émotions. Car j'essaie de dépasser l'horripilation, je sais que cette horripilation est une anomalie en moi et non dans le monde. Le monde n'est ni intelligent, ni stupide, il est, brut et sans pudeur ou complexes. Et je sais que l'on est furieux de s'imposer de la pudeur et des complexes et de voir que les autres s'en foutent. Bref, le fond de l'histoire, c'est que Gigi a fini par s'exaspérer de moi et m'a à nouveau virée de ses amis FB.
La différence, c'est que je ne suis plus en colère contre lui. Ses problèmes sont ses problèmes, je ne veux plus le soigner, je ne suis plus atteinte par ces manières veules, c'est lui qu'il méprise en se comportant de la sorte, c'est triste pour lui. J'ai été peinée, bien sûr, je suis sensible et trop chien fidèle pour tourner la page comme ça. Mais d'autres copains ou amis étaient là pour me soutenir de mots gentils et ça a suffit à me remonter le moral. La déprime du dimanche promettait d'être pire encore, mais non. je suis allée voir Amour au cinéma, en tâchant de ne pas trop maudire ma voisine directe qui mangeait des M&M's, les puisant dans ce sachet craquant pendant un huis clos calme et silencieux. Je lui a pardonné en la voyant s'essuyer souvent les yeux, d'autant plus facilement qu'elle n'avait plus le cœur à manger...
Je ne crois plus en un rapprochement avec Gigi, j'ai usé ma patience et lui n'en a jamais eu beaucoup, il puisait dans l'hypocrisie. Ça m'a frappée, la dernière fois que je les ai vus chez eux : pourquoi était-il si nerveux avec moi ? Quelles brûlantes pensées partaient dans la fumée des fébriles cigarettes ? Quelqu'un m'a dit très gentiment que parfois il faut s'éloigner des gens que l'on aime car ce que l'on vit avec eux est trop douloureux. Mais je n'ai aucune raison de penser que Gigi ait jamais eu la moindre affection pour moi. Il est sociable et gentil aussi parce qu'il a une peur absolument panique de la solitude. Dès lors qu'il n'était pas seul, ça ne le gênait pas que je l'attende en vain à une terrasse de café... Je n'ai aucune raison de penser non plus que j'ai été une amie bonne pour lui. Je n'en saurais jamais rien, car il n'en dira jamais rien. Il ne fera jamais le premier pas vers moi et moi, j'ai ma dose. Malheureusement pour moi, je ne peux pas fermer comme ça le verrou de mon cœur, alors il va y rester longtemps. Mon Gigi, mon premier vrai ami de vie d'adulte, mon premier ami homme. Mais nous étions entrés dans une bataille d'egos qui n'est pas propice à l'affection, bien au contraire. Nous avons tous deux nos convictions et pensons tous deux être allés plus loin que l'autre dans la compréhension des choses, sur ce point au moins, nous nous ressemblons trop. Nous nous ressemblons beaucoup trop.
Bon, je n'ai pas de recul, mais enfin, il faut tourner cette page, ça semble évident. J'ai assez cassé les oreilles de mes amis (et de mes lecteurs ?) avec cette histoire, il est plus que temps qu'elle prenne fin.
Aujourd'hui, ça ne se passera pas comme ça.