Retour vers le passé.
De mon précédent blog aujourd'hui disparu "Bulle de papier", cet extrait exhumé des archives.
03 décembre 2007
Contrastes (lapointo-)proustiens
Pendant longtemps, sur les toilettes, j’ai lu la correspondance de Proust. Naturellement, ce n’est que bien après que j’ai songé au jeu de mot facile, du style « Marcel proute dans les toilettes », etc. Ce n’est pas plus mal, finalement. Car avec Marcel, j’avais déjà une drôle d’histoire.
Il se trouve qu’avant d’étudier The Author à la fac, avait eu lieu ma rencontre avec Bobby Lapointe et notamment la fameuse chanson « Marcelle » Dont le refrain (si l’on peut dire) que voici : « Marcelle /Si j'avais des ailes /Je volerais grâce à elles /Marcelle /Vers la plus belle /Des jouvencelles /Celle qui a pris mon cœur : /Ta petite sœur.../Poum ! Poum ! », me revenait systématiquement en mémoire pendant les cours et les travaux dirigés.
Notre professeur, qui fut mon directeur de mémoire, est le plus divin lecteur de Proust que l’on puisse imaginer. La douceur de sa belle voix grave recouvrait nos épaules d’un voile d’intimité feutrée, ses flexions délicates animaient les couleurs passées d’une époque ressurgie sous la plume de l’auteur, nous étions grisés par les espaces sensibles, transportés dans les tableaux transparents de la mémoire proustienne. Extraordinaire.
Il reposait le livre A l’Ombre des jeunes filles ou le Côté de Germantes ou Sodome et Gomorrhe et commençait à commenter, de sa voix réelle : Alors ici, le Narrateur ou, pour ainsi dire : Marcel… »
« Marceeeeeeelleuh, si javèdezaiiiiiiiiiiiiiiileuh, je vôlerai grâce à eeeeeeeeeeelleuh !... », Bobby me sautait dans les méninges avec sa voix de gros trublion barbu et provocateur : « Moi ch’prèfère taaa sœur Poum poum ! ».
Dans les tableaux des peintres, dans les clochers de Méséglises, à travers le parc de Swann, sur la silhouette, hélas, de la dame en rose, passait comme une vague maudite « Elle a l’œil vif, la fesse fraiche et le sein aaaarroooogant ! L'aut'sein, l'autre œil et l'autre fesse itou égaaaaleuuument ! Mais ça n’est pas monotoneuh, Et mêmeuh quand c’est l’autonme, je m’écrie en la voyant : « Tiens, voilà, l’printemps ! » »…
Tous mes cours, je voyageais entre ces deux mondes : le plus raffiné et délicat, celui des princes et des duchesses, de la porcelaine translucide, des huit-facettes et celui du ménestrel des faubourgs, des filles accortes, des petits hommes qui vivent d’espoir et du gros rouge sur le comptoir…
Pour me changer les idées, je pensais à la maman des poissons, à ma préférée, avec la fée ombrageuse et le petit garçon météorologiste, voire à Tchita, la belle créole sur l’affiche publicitaire. Et pourtant, quels détours sublimes dans les méandres des souvenirs proustiens, où même la fille de joie semble nimbée de raffinement, ou même le vieux pédé égrillard n’est souillé d’aucun bas jugement.
Alors, peut-être, en faisant un effort, peut-on rapprocher les artistes, effectivement, dans leur volonté de saisir ce qui leur échappe, ce qui nous échappe à tous, et de nous l’offrir, comme un prisme inédit, pour regarder le monde d’un œil nouveau. Tout de même, Proust et Lapointe !
Eh bien, oui, je m’y retrouve, dans les deux, j’apprécie ces deux sensibilités, les deux mystères, les deux souffrances artistiques et humaines. Ce n’est pas donné, cela, et c’est mille fois précieux.
C’est Tchita la créole
Elle m’obsède, elle m’affole …