Le rire assumé. Leçon de morale. Na.
L'autre jour, j'aurais voulu relire dans le texte de Pierre Schoentjes, Poétique de l'ironie, sa définition du cynisme, "une colère d'enfant déçu". Je ne peux plus lire aisément le texte sans aide, j'ai vite renoncé. Ça attendra le vidéo-agrandisseur.
J'ai beaucoup aimé étudier le comique, il y a encore sur les étagères quelques essais non encore lus dont je ne parviens pas à me séparer. Quant à ceux que j'ai lu, ils restent avec moi et moi seule... En général, les gens ne veulent pas entendre parler des mécanismes du comique. Ils ne veulent rien savoir du comique, ils mettent tout dans une grande besace appelée humour et il y fourrent sans complexes l'ironie, les sarcasmes, les running gags (dont ils ignorent souvent le nom). "T'as pas d'humour" se jettent-ils sans remords au visage. Ils aiment croire en leur nature spontanée, ils ne veulent pas connaître les mécanismes qui, pensent-ils, les réduiront à n'être que des machines articulées. Ils aiment leur propre mystère comme on aime à gratter sans cesse la croûte qui démange et à la gratter, la gratter bien fort, quitte à saigner à nouveau. Les gens aiment leur ignorance comme un talisman contre le vide interrogateur.
Moi, j'aime comprendre, j'aime apprendre. Plus j'en apprends et plus j'appréhende l'immensité de ce que j'ignore, mais avec de moins en moins d'effroi, je n'aurais pas le temps de tout apprendre : autant goûter les beautés du paysage.
Je me suis gavée, par pur plaisir, de livres sur la politesse. Son esprit, si profondément généreux et dont on ne sait rien, me ravissait. J'ai goûté ses cérémonies pompeuses, sa stupide étiquette à laquelle on la réduit si sottement. Je l'ai bue jusqu'à la lie... et puis je l'ai oubliée. Car le fond de l'esprit, c'est l'anti-étiquette, c'est l'humanisme. (Quelqu'un a osé me dire un jour que la politesse était une invention de la domination pour se faire honorer. Mais comment peut-on sortir de si bousesques conneries ? Enfin, peu importe, sans doute.)
Et puis, plus tard, par plaisir mais aussi par devoir, je me suis consciencieusement gavée d'essais sur le comique et ses différentes formes, humour, ironie, sarcasme, grotesque, et ses différentes modalités, satire, farce et autres.
Je suis, aujourd'hui encore, à la recherche des signes prégnants de l'humour qui plonge ses racines dans la détresse et de celui qui puise dans la bonne humeur. J'ai appris à aimer l'étude du comique autant que ses charmes, mais ce n'est pas le cas de tout un chacun, croyez bien que c'est soigneusement noté ! Tant pis pour vous si vous continuez à lire.
Une des conditions d'émergence d'un rire un peu sophistiqué — id est, qui n'est pas un gag universel comme la chute d'une personne glissant en gesticulant sur une plaque de verglas — un bon mot, un calembour, un trait d'esprit, c'est qu'il lui faut un terrain culturel commun. Pour faire un jeu de mot réussi, mieux vaut avoir un public qui maîtrise au moins bien, voire très bien la langue dans laquelle il est fait... Il faut des références communes, quel que soit le terrain culturel.
La seconde condition, qui lui est consécutive et liée à bien des égards, est la complicité. C'est un condition sinon toujours préalable au comique, mais nécessairement concomitante à sa communication et à sa transformation en rire. C'est la complicité qui fait rire d'avance le public avant même que le comique sur scène ait ouvert la bouche. Chez Jane Austen, il y a souvent de ces gentlemen qui plaisantent et se font traiter d'odieux personnages par leur épouse incapable de saisir le sel humoristique dans les saillies verbales de leur époux. Ces tristes messieurs n'ont pas su s'attirer la faveur de leur public, tant s'en faut ! De là à imaginer que le public en question est un nigaud, il y a un pas que je ne me permettrai pas de franchir, naturellement.
Et qui est responsable de cette complicité ? Le comique, bien sûr ! C'est à lui de susciter en l'autre la confiance, la relation qui autorisera le décalage humoristique, la rupture du bon sens au profit de la petite folie. Vous remarquerez que parfois, cette pointe humoristique partagée, le lien s'en trouve renforcé dans les cœurs, car ayant résisté à la petite mise à l'épreuve. On échangera alors un bref regard tout pétillant d'une joie éclairant subitement les noirs recoins de la solitude.
J'en viens enfin à mon propos. A mon sens, on est responsable de son message et aussi un peu de sa réception. On est responsable de la personne en face, on doit se faire une idée de qui elle est, sa sensibilité, son âge, sa culture, son éventuelle sottise ou sa susceptibilité, etc. et cela avant de lui balancer des scuds. Autrement dit, quand on fait une plaisanterie qui n'est pas comprise, ce n'est pas à la charge de l'autre, c'est à sa propre charge... Entendez-moi bien, je dis que si votre interlocuteur ne comprend pas votre blague, c'est de votre faute.
C'est vous la brute.
J'insiste, car en général, quand l'autre ne comprend pas, c'est lui qui est traité de brute. C'est parfois vrai, mais alors, si le petit rigolo le sait, c'est lui l'imbécile de ne pas en avoir tenu compte. Et s'il ne le sait pas, il a pris un risque inconsidéré.. Les blagues en public requièrent souvent l'évidence, la facilité d'un substrat auquel tout un chacun a accès. C'est Obama parlant de ses oreilles, Hollande de la météo pluvieuse.
Mais parfois, on se trompe, on n'est pas compris et où nous comptions cueillir des rires ne nous attendent qu'une interrogation, un perplexité, un bide. Pauvres de nous !
Pourtant, Dieu sait si je connais l'horreur que cela représente d'expliquer une blague, un trait d'ironie, un calembour ! On est si triste, on se sent vieux et seul... Eh oui, mais on est le petit mariolle qui a raté son show, on n'est pas cette pauvre victime qui ne comprend pas et se retrouve isolée par les rires que nous suscités et qui parfois — suprême injustice — s'en prennent à elle ! Il faut l'admettre : nous sommes le fauteur de trouble. N'est-ce pas la moindre des choses que de réparer notre tort ?
Tout dépend alors que ce que l'on met au sommet de ses valeurs : son propre ego ou le lien avec l'autre... Or la politesse, la fameuse, ne laisse aucun doute là-dessus. Il n'y a pas besoin d'elle pour avoir des valeurs humanistes plus qu'égoïstes, mais j'aime l'évoquer, car, si elle fut corsetée par les cuistres, elle fut pensée par les cœurs, à travers les âges.
On assume bien (ou mal) d'avoir parlé trop vite, d'avoir parlé trop loin, on n'a "rien dit", on autempourmoise à qui mieux mieux. Or, pas plus que la remarque sérieuse, la légèreté de notre blague ne nous exonère de sa répercussion. Non, l'humour n'efface pas l'humain derrière lui. Et l'humour qui blesse... Eh bien, il n'est pas drôle, ou alors, une autre fois...
L'on pourrait croire que j'annone laborieusement ici une autre règle compliquée pour faire face à l'autre, mais en vérité, elle est très simple : je suis responsable de ce que je dis, je suis responsable, au moins en partie de la réception de mon message. tout simplement. Sinon à quoi servirait la diplomatie ? Je suis responsable dans le sérieux et dans le rire du lien qui me lie à l'autre. C'est tout simple.