Voeu pieux
Chers lecteurs, la vie est courte et il me pèse de plus en plus de la remplir de vide pour faire semblant de ne pas la voir passer. Je réfléchis à ce que je
pourrais faire et il me semble qu'écrire est encore ce qui est le plus à ma portée et, malgré que vous en ayez peu l'exemple ici, c'est ce que je sais le mieux faire, à un humble niveau.
Tout le problème est de savoir quoi. Le problème tient moins à un manque d'inspiration, lequel peut se résoudre avec un peu d'effort, mais surtout à un manque total d'autonomie... Bien sûr, comme
tout le monde, j'ai besoin de reconnaissance, mais je doute que tout le monde soit, à ce point habité par le spectacle à donner de soi, ce show quasi permanent de moi-même qui hante le moindre de
mes actes. Le moindre, peut-être pas, car il arrive que je m'oublie, heureusement et pas seulement dans l'abrutissement, mais tous les actes où je me vois, m'imagine, me rêve face à l'autre dans
l'attente éperdue d'une reconnaissance émerveillée...
L'analyse poursuit son court, étonnante, mais le réel est là et il n'est plus temps de s'interroger sur les pourquoi : c'est l'heure des quoi et des comment. Que pourrais-je écrire, au moins un
peu, pour moi ? L'idée que je bricole semble si ténue, les premiers essais d'écriture sont si mauvais, mes élans sont si éperdus pour une miette de reconnaissance...
Une histoire, des personnages, une structure narrative, un style d'écriture, le travail qui s'annonce est si immense ! Et ce fil, si fragile tiendra-t-il seulement deux pages ? Tous ces papiers,
ces nouvelles, ces poèmes, ces idées jetées sur des feuilles et griffonnées dans des carnets depuis vingt ans ne me serviront de rien ! Ces mots sont d'ailleurs, d'autre part, leur obsession
n'est plus d'aujourd'hui, qui s'est effritée dans le temps, ils sont perdus à jamais.
Je ne m'attends pas à une route facile, oh non... Quand il ne s'agira plus que de vingt fois sur le métier remettre mon ouvrage, la moitié sera déjà faite : la trame, le dessin, les couleurs, les
fils seront déjà, celle-là tissée, celui-là esquissé, celles-ci choisies et ceux-ci prêts pour la navette... L'ampleur de cette tâche est immense. Mais la tâche la plus rude, la plus urgente est
de combattre contre moi-même et ce ressort si violent qui me pousse vers l'idée sans cesse tripotée et retripotée par ce cerveau autarcique et têtu que telle chose va plaire à quelqu'une et telle
autre déplaire à quelqu'autre... Pensée autarcique n'est pas pensée autonome.
Pour s'envoler, il faut se glisser là, au plus profond du ressenti, laisser s'écouler la musique des mots, lui imprimer un rythme, glisser sur ses ondes, au plus près du plaisir, au frontières de
la souffrance, là où rien n'existe qui me sépare de moi... Là est l'art, toujours bon s'il reste sincère, toujours vrai dans l'instantané, l'impromptu libre et fou. Et c'est cela qu'il va falloir
susciter, dompter, ordonner, diriger d'une longe souple et d'une voix ferme. Ecrire, chers lecteur, demande de ne plus se mentir...
C'est tout.