La tigresse qui ne pleurait pas
Chers lecteurs, je sais ce qu'est devenue Sheila.
Bien entendu, il n'est pas ici question d'une chateuse mais bien sûr de Sheila, l'enfant qui ne pleurait pas. Torey Lynn Hayden n'était pas encore psychologue, mais institutrice lorsqu'elle reçut dans sa classe une petite fille de six ans en transit pour l'asile psychiatrique. La fillette avait enlevé un petit garçon de trois ans, l'avait attaché à un arbre et avait mis le feu à ses vêtements.
Elle se retrouvait dans la classe de Torey en attendant qu'une place se libère à l'asile. A son arrivée, elle dépareillait peu sur les 8 autres élèves, à part qu'elle était très turbulente et aussi crasseuse que puante. A cette époque, Torey a vongt-quatre ans, de l'enthousiasme à revendre et se passionne pour sa classe de petits réprouvés, handicapés mentaux, psychotiques, une petite classe de petits fous qui apprennent à vivre ensemble et à apprendre, quand ils en sont capables.
L'expérience de cette classe n'a duré qu'un an, mais Torey, ses collaborateurs et les enfants ont tous été transformés par cette expérience. Torey, habitée depuis toujours par l'écriture, éprouva le besoin de mettre son extraordinaire histoire avec Sheila en mots, en une semaine, elle écrivit ce qui s'avéra être un livre. C'est l'histoire que raconte l'Enfant qui ne pleurait pas, et vous pouvez arrêter ici votre lecture et lire ce livre.
Cependant Torey n'osait pas publier sans l'assentiment de Sheila, car il y était question de son intimité psychique comme physique et que la petite fille devait donner son accord. Mais Sheila avait disparu. Torey, de son coté, avait poursuivi ses études, déménagé, trouvé enfin une place dans un pretigieux cabinet qui la ramena dans sa région. Sept années s'étaient écoulées et le hasard lui fit retrouver la trace de la petite fille qui était devenue une adolescente un peu sauvage. Ce récit, qui raconte aussi la publication du premier livre, Torey l'a fait dans la Fille du Tigre, un livre quasi introuvable, j'ai dû m'inscrire à la bibliothèque municipale pour pouvoir le lire.
A plus d'un titre, cette histoire est vertigineuse. Tout d'abord, la mise en abyme, car Torey engage la jeune fille pour l'aider dans un programme scolaire d'été destiné à des enfants réprouvés, austistes ou schizophrènes, on retrouve la gamine de l'autre coté de l'enseignement, avec en face d'elle des enfants a qui elle a ressemblé et spécialement un gosse dont l'histoire la ramène à la sienne, avec toutes les conséquences que va entrainer cette identification. Ensuite parce que la projection faite par la petite fille Sheila sur Torey a pris une ampleur à couper le souffle et que c'est avec un immense soulagement que l'on voit Torey prendre enfin la place tant rêvée. On découvre aussi que toute l'horreur décrite dans le premier livre ne recouvrait pas la réalité qui était pire, encore pire, bien pire que Torey croyait...
Dans le second livre, la boucle est bouclée, on apprend enfin comment et pourquoi une fillette de six ans a mis le feu à un bébé.
Jamais un écrivain n'aurait eu l'audace d'écrire cette histoire. D'ailleurs, la narration, qui est excellente, n'est pas littéraire, les effets sont là pour souligner le réel, et ils sont si peu nombreux que cela n'en rend les faits que plus abrupts, plus estomaquants, plus tranchants. C'est une lecture pour tous, pas du tout jargonnante, Torey Hayden écrit pour raconter à tout le monde, sans prétention, sans fioritures. On voit poindre son caractère, son humour, sa volonté et surtout une honnêteté foncière qui font chaud au coeur. Dans le second ouvrage, elle raconte comment Sheila la taquine sur sa mauvaise foi dans le premier livre, sans chercher à enjoliver sa réaction. Et puis il y a cette gamine, extraordinaire d'intelligence et de violence, d'obstination et de force. Enfin, il y a ce que j'ai appelé il y a peu le "petit buldozer", la pulsion de vie faramineuse qui pousse cette jeune fille un peu dans tous les sens, mais surtout vers l'amour, ce dragon qu'elle a tant de mal à apprivoiser, elle, l'abandonnée de tous.
Je suis sortie de ces lectures comme d'une essoreuse, sans plus un poil de sec et surtout pas les cils. Bon Dieu, que la vie est grande !