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En guise de prière

15 Janvier 2011, 15:17pm

Publié par Ardalia

Chers lecteurs, ils faut que je le dise et comme je ne peux pas alors, je vais l'écrire.

 

Je ne sais plus comment je l'ai connu, qui nous a présentés, c'était au temps où j'étudiais à l'Institut Catholique de Paris. Ce fut probablement à l'aumônerie dont il partageait les commandes avec une femme plus âgée, il avait 23 ans, je crois. C'était un homme très grand, blond-roux, avec des yeux bleus à la fois très vieux et enfantins, des lèvres généreuses. Je ne manquais pas une occasion d'aller lui parler, dans la cours, nous riions beaucoup, j'étais nature avec lui. Nous nous sommes raconté nos histoires, il m'a parlé de sa mère, loin là-bas sur son bout de Bretagne, de son père mort quand il était enfant.

Lors d'une de mes petites crises mystiques, il m'invita à me rendre à St-Ignace, une église discrète proche de la Catho, afin d'y écouter le père Labarrière dont les sermons respiraient l'amour et l'intelligence. J'en fut illuminée. Était-ce avant ou après, j'ai oublié, n'ayant pas repensé à tout cela et n'en ayant pas parlé, mes souvenirs sont très pousisèreux ; il m'a invitée à dîner. C'était probablement un soir de décembre, car nous avons échangé de petits cadeaux, j'étais sur la défensive, m'imaginant qu'il voulait plus que l'amitié (mais sachant le fervent catholique qu'il était, que cela passerait par un mariage "pur") et ne voulant pas, moi, pousser au-delà nos relations.

Je l'ai vu de moins en moins, il était très occupé par son poste de rédacteur en chef du Journal de la Paix et sa thèse (je crois). Je l'ai revu un jour à St-Ignace, justement, accompagné d'une jeune femme et, l'office achevé, beaucoup de fidèles allaient vers eux leur serrer la main. J'en conclus qu'ils étaient fiancés et me sentis comme un chien dans un jeu de quille, entortillée dans ma jalousie et ma crainte de déranger les croyants, en mécréante obstinée. Je fuis et, craignant qu'il ne m'ait vue, lui ai écrit un mail pour lui expliquer cela, mais d'une façon maladroite, humoristique, distancée.

 

Il ne m'a famais répondu. Je l'ai relancé par mail, par sms, avec de moins en moins de bonhommie, sans la moindre réaction de sa part. Je lui en ai beaucoup voulu de cet abandon muet, ne comprenant pas ce que j'avais fait de mal, pourquoi je devais être privée totalement de mon ami, même s'il était déjà peu présent auparavant. Je n'ai jamais compris. Aujourd'hui je me dis que c'était sans doute par délicatesse pour son épouse, pour ne pas la confronter à "la précédente" pour laquelle il avait nourri quelques sentiments. Mais peut-être que je me trompe. Au fond, qu'importe ?

 

Aujourd'hui, à la suite d'un recherche sur internet, j'ai appris que Christophe est mort. Alors que je trainais mon ridicule ressentiment sur toutes ces années, il est mort, mettant un terme à tout.es ces bêtises. Connaissant son intelligence, sa finesse d'esprit, je m'attendais à trouver son nom attaché à quelque poste aux Nations Unies ou dans un organisme catholique aussi discret qu'actif, au Vatican, par exemple. Je fais ma petite recherche, écartant avec agacement cet homonyme du théâtre et ces mots qui apparaissent "Hommage à Christophe G." et, cliquant sur le lien "Hommage à Christophe G. (1978-2009) rédateur en chef..."

Et ces mots sur un PDF de St-Ignace :

"C’est avec une très grande tristesse que nous avons appris le décès, suite à une longue maladie, de Christophe G., membre du Conseil Pastoral et du choeur de l’église St-Ignace. Il a été enterré jeudi 30 avril à V***. Beaucoup d’entre nous étaient présents, ainsi qu’à la veillée de prière, la veille, à l’église St-Ignace. Toute la communauté St-Ignace s’associe à la peine de J*** son épouse, et de leur petit A*** et nous prions avec eux le Seigneur de la Vie."

 

Il aura au moins connu le bonheur d'être époux et d'être père. A quel point s'en est-il voulu de trahir les siens, de les abandonner comme son père l'avait abandonné ? A-t-il beaucoup souffert ? Le connaissant un peu et comme le montre ce faire-part, je suis sûre qu'il était entouré, aidé, que l'on a prié pour lui et avec lui, peut-être même le père L.

Et moi qui me disait son amie, où étais-je quand il a eu besoin de moi, peut-être. Où m'avait-il rejetée ?

 

Que tout cela est donc absurde et cruel. Tout est bien, sans doute, lui et le drame qu'il a mis en place, celui qu'il a vécu (ou le soulagement ?), moi et mon ridicule et ma douleur de cette perte désormais vraiment irrémédiable, de n'avoir rien pu faire, de penser sans les connaître à ces trois personnes en particulier qui l'ont perdu : sa mère, son épouse et son fils.

 

C'était un bon garçon, sérieux, tempérant, travailleur et rigoureux. Avec cela bon camarade, volontier rieur, pratiquant l'humour avec charme et élégance. Il avait cette douleur en lui, qui le rendait à la fois attentif par vulnérabilité et exigeant, par déni. Il avait aussi ce dernier éclat de jeunesse, si spontané, si tendre, si délicat qu'on en était émerveillé. chez ce grand jeune homme calme et torturé. Ayant quelques motifs d'orgueil, il luttait pour devenir plus humble, y parvenant avec plus ou moins de succès. Il était si jeune et si vieux...

 

Je ne suis qu'une enfant, quant à moi. Je crains de lui avoir été inutile, comme je demeure désormais : les mains vides et les yeux pleins de larmes.

 

Et je crois, Christophe que là où tu es, tes blessures intimes sont guéries, que ta bonté et ton intelligence rayonnent enfin de tout leur éclat... tout cela qui était en germe chez toi quand je t'ai connu, je le prends comme un encouragement pour ma vie spirituelle. Merci pour ce que tu m'as donné, car tu étais ce type dont on avait envie d'être digne, ce qui rend meilleur. Merci Christophe, pardonne-moi pour ces années de stériles ressentiment et, peut-être, je l'espère... à Dieu !

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T
<br /> <br /> Et si ?<br /> <br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> Quant à la vie spirituelle, ce qui peut nous en écarter c'est la représentation que nous nous faisons de ce que nous désignons souvent du mot "Dieu" ou celle que nous en donnent parfois ceux qui<br /> ont pour fonction d'en parler. Je crois que même l'être humain qui a approché Dieu de plus près ne peut nous en dire grand chose car c'est de l'ordre de l'indicible, de l'ineffable, du mystère.<br /> Voilà le mot: mystère. Accepter le mystère. Je me suis parfois demandé: et si Dieu n'était pas Toute-puissance mais Toute-faiblesse, comme l'enfant Jésus dans sa crèche, et qu'Il ait d'une<br /> certaine manière besoin de nous pour venir au monde ?<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Merci Thierry pour ce commentaire qui m'a émue. Oui, et si... ?!<br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> <br /> Très émouvant, chère Cécile, et très confrontant aussi. Le dépit et le ressentiment sont les poisons de l'âme, des poisons qui nous attachent à une douleur comme des amarres qui nous retiennent<br /> dans un mauvais port. Si j'en parle, c'est que cela fait partie des choses en moi à qui, avec le recul, je vois que j'ai donné trop de place. Merci de votre courage à dire, cela donne le courage<br /> de penser à la poussière que nous avons cachée sous le tapis.<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> C'est touchant ce que tu évoques là. Les mystères de nos relations.<br /> <br /> <br /> Tu dis les choses avec beaucoup de simplicité et de vérité. Cela me touche.<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Merci AlainX<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> <br /> (((Ardalia)))<br /> <br /> <br /> J'espère que tu ne le prendras pas mal, mais j'ai parfois du mal à comprendre comment (pourquoi ?) une femme comme toi se présente toujours sous son jour le plus noir. Tu as de belles choses en<br /> toi, aussi...<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Je ne le prends pas mal, Anna, j'en suis touchée, très touchée... J'ai écrit ce bille encore sous le coup de la douleur de cette terrible découverte et je me sentais à la fois très triste et très<br /> bête. Je crois être, globalement, quelqu'un de bien, mais il ne me vient pas à l'idée de m'en vanter (car c'est la moindre des choses, je crois) et j'éprouve surtout le besoin de m'exprimer quand<br /> je souffre. Est-ce à porter à mon crédit ? Je pense souvent à Christophe, désormais complètement détachée de ce ressentiment qui me diminuait, ne conservant que l'affection et le respect que je<br /> lui portais.<br /> <br /> <br /> Merci pour ton commentaire. :*<br /> <br /> <br /> <br />