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Celui qui n'existe pas

24 Mars 2018, 12:42pm

Publié par Ardalia

Je suis encore en colère contre mon ex. Il faut toujours du temps pour voir que c’est moi qui me goure. Moi qui demande à un incompétent de faire mieux, de faire différemment, de faire à mon idée. Sans cesse, je me charme d’une pensée que je trouve amusante ou profonde et lourde de sens, quand ce n’est pas les deux, et je vais le voir avec ça. Et ça se fracasse — dans la douleur — contre son incompréhension, contre sa froideur, quand ce n’est pas contre son refus. C’est moi qui retourne vers lui me faire casser.

J’en ai marre de me faire casser par un incompétent, mais le fait est bien clair qu’il ne demande rien, à peine agite-t-il le petit drapeau de la politesse, maintenant. C’est moi, toujours moi et moi seule qui vais vers lui avec ma nature émotive et imaginative, laquelle se fait écraser. C’est moi qui vais m’écraser contre ce mur, qui ne veut parler ni du passé, ni de l’avenir, ni du présent, ni de lui, ni de sa vie, moi seule. Il me laisse « [lui] parler », alors je parle et après, il me dit qu’il en en a marre de « cette conversation ». Mais ce n’est pas une conversation, c’est un monologue à peine entrecoupé de « hum hum » en phrases polies.

Je ne peux pas augurer de ce qui se passe pour lui, ce peut être profond, mais je n’en sais rien maintenant et je n’en saurais jamais rien. Il est un tonneau des Danaïdes, ce qu’on lui donne tombe dans le néant de son silence et on ne peut rien en tirer. Ce n’est pas de la mauvaise volonté, c’est sa nature, il est incapable sur ce plan, c’est tout. Moi, je suis incapable de faire de l’analyse informatique et personne vient me chier dans les bottes pour ça, il n’y a aucune raison que j’aille lui chier dans les bottes pour ça.

Je retourne sans cesse vers lui pour lui dire qu’il m’a menti, parce que je n’admets pas que je me suis menti, que l’illusion est, et a toujours été, dans ma tête. Il serait temps, vraiment temps, plus que temps que j’admette que cette imagination formidable est peut-être charmante et rigolote, mais qu’elle ne raconte que des histoires. Ce n’est pas mauvais en soi, mais une histoire ne vaut que pour son message caché. L’histoire que mon ex m’a menti sur lui cache que je me suis menti pour sortir de la peur. Je me suis menti sur cet homme pour sortir de la peur de l’abandon. J’ai consenti à me lier pour tromper ma terreur et — rendons grâce à l'illusion de "l'homme de ma vie" — ça a marché. Je me suis liée, l’abandon est arrivé et j’ai survécu. C’est peut-être la grande paix à faire pour moi : la paix avec cet imaginaire.

Depuis l’adolescence, je refuse de « rêver » avec les gens. Du moins, j’ai eu cette posture pour « guérir de la maladie » ou « devenir riche ». Je refusais que l’on m’entraîne dans ces rêves, ne voulant pas affronter le retour au réel. Pourtant, j’ai parfois consenti, avec telle personne, on a rêvé de sexe, avec telle autre, on a rêvé de richesse et de biens immobiliers, avec cette dernière, on a rêvé d’amour. J’ai écrit des poèmes, j’ai écrit des nouvelles, mais, pour avoir savouré l’acte de création, l’effervescence, qui n’est pas sans douleurs, mais n’est pas non plus sans profondes satisfactions, tout en appréciant le résultat, je n’en étais pas authentiquement contente. Certes, c’était parasité par la soif d’excellence, mais c’était aussi parasité par pulvérulence, la dissipation consubstantielle du travail d’imagination.
Je plus vrai de mes poèmes, le seul que je puisse citer :
« Seule,
Je tournoie seule,
Mélancolique et folle,
Car l’homme, l’homme,
N’existe pas. »
dit intensément ce qui est vrai pour moi. L’abandon de l’homme — le père, le frère, tous les autres — est mon histoire. C’est ma réalité et je ne vois que ça. Je ne peux pas savoir si c’est la vérité, je sais juste que je n’en suis que là, réellement. Le seul homme qui ne m’abandonne pas à moi-même, c’est le psy, une demi-heure par semaine, ce psy que je paye. L’homme n’existe pas pour moi et c’est pourquoi j’ai tenté de l’incarner, d’être cet homme manquant dans ma vie. J’ai mis, ado, la veste de mon père au collège, je porte encore aujourd’hui, des chemises d’homme (des jolies) et j’ai racheté récemment un gel douche qui pue l’équivalent d’un Scorpio en base lavante et je souris d’avoir ce parfum qui flotte dans ma douche. L’homme n’est qu’un parfum, celui de la veste en cuir de mon père, dans le couloir du garage, son odeur et les fragrances viriles qu’elle transportait. Je comprends aujourd’hui que c’est de mon père que je tiens mon hypersensibilité, qu’il en a pris plein la gueule toute sa vie à se frotter aux gens le plus susceptibles de le faire grandir.
Et moi, je me heurte encore et encore à mon ex, grandir est si difficile. Jamais on ne sait comment grandir avant que ce soit arrivé. On y travaille en aveugle et en sourde, c’est le cas de le dire, on y travaille en brute épaisse et furieuse, à se déchirer l’échine et les jarrets, le mufle et le poitrail. La paix est à ce prix.

Entre deux séances de lutte, des havres de douceur, des séances d’empathie. C’est tellement délicieux, tellement doux, tellement cohérent, on me dit que j’irradie, que je pétille (véridique), de joie et de paix. Quelle gageure ! Là, je donne et je reçois ; là, il y a dialogue. Il y a ouverture, il y a bonne volonté d’échange honnête et vulnérable. Je me heurte aussi, il ne faut pas se leurrer, mais seulement aux limites des gens, à leur musique intérieure qui ne va pas au rythme de la mienne. Leur désir de changer, de grandir, est là.
Il serait temps aussi que je classe ce dossier des hommes « qui ne veulent pas grandir » ou, plus justement, des hommes qui grandissent sans moi. C’est leur droit de ne pas vouloir de moi.

Et tant que je vais vers eux, c’est moi qui ne veux pas de moi. Il serait temps de voir en moi l’homme qui veut grandir et devenir, à parts égales avec la femme, qui ne grandira et ne deviendra qu’à ce prix. A la fin, qui sait, on aura peut-être une adulte.

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K
Bonsoir,<br /> Dommage que ce soit écrit si petit, on ne reste pas longtemps. bonsoir
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A
En finit-on jamais de devenir qui on est ? Je t'embrasse.
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A
Je pense qu'il y a une issue à la déconstruction du passé douloureux, oui. Pour le reste, je ne sais pas. Je t'embrasse ausi. :)